
En proie depuis un mois à un mouvement de contestation inédit depuis des décennies, l’Irak –qui n’a pas connu de soulèvement populaire lors des printemps arabes– semble vivre les prémicPris dans le tourbillon des soubresauts régionaux, notamment du conflit syrien et de l’ascension fulgurante du groupe État islamique (EI) qui a occupé –au paroxysme de son expansion– le tiers du pays, l’Irak n’a pas eu son mot au chapitre du malaise socioéconomique qui ronge les populations arabes depuis plus d’un demi-siècle.es de son propre printemps.
Après avoir vécu vingt-quatre ans sous la botte de l’ancien dictateur Saddam Hussein, délogé au forceps en 2003 par une intervention militaire américano-britannique, d’une guerre contre l’Iran (1980-88), d’un embargo économique et militaire international ayant duré douze ans, la population irakienne a dû faire face au chaos politique de l’après Saddam avant d’être prise dans les filets de Daech et des retombées de la guerre en Syrie voisine.
La détérioration des conditions de vie n’a eu de cesse d’enfoncer les seuils au cours de ces quarante ans d’instabilité chronique, alors que l’incurie de l’État et la corruption continuaient de battre des records et le mécontentement social de s’amplifier.
Pays riche, peuple pauvre
Entamé le 8 juillet à Bassorah, province pétrolière du sud, le mouvement s’est propagé dans toute la région méridionale jusqu’à atteindre la capitale Bagdad. Défilant par milliers, munis de haut-parleurs, banderoles et pancartes, les manifestants ont scandé ou affiché plusieurs slogans exprimant leur profond malaise : « Vous avez volé des milliards et été la cause du chômage de millions [de personnes] » , « Daech et le Parlement sont deux faces d’une même pièce », ou encore « Le peuple veut la chute du régime », slogan emblématique des printemps arabes de 2011. (...)
les infrastructures et les services publics rivalisent de précarité tandis que le chômage, notamment parmi les jeunes –dont les moins de 24 ans représentent 60% de la population– culmine à plus de 40% selon le Fonds monétaire international (FMI).
Si ce fléau s’est amplifié à la faveur des trois dernières années de guerre contre l’EI, le problème est avant tout structurel : à l’instar de nombreux pays arabes, les richesses colossales de l’Irak sont concentrées aux mains d’une minorité au pouvoir. (...)
Principal catalyseur des manifestations géantes qui se sont emparées du pays, les pénuries d’électricité et d’eau –un comble dans le « pays des deux fleuves » et de l’or noir– se sont imposées au premier plan des revendications sociales.
Avec un réseau électrique vétuste et laissé à l’abandon depuis les années de l’embargo de l’ONU, l’Irak ne produit que 68% de ses besoins en énergie, hors période de fortes chaleurs, misant sur les importations –notamment d’Iran– pour combler ce déficit, ne serait-ce que partiellement.
En parallèle, et dans une tentative de mettre fin au délitement des infrastructures électriques, le gouvernement a adossé un plan de quarante milliards de dollars, sans que cela ne produise toutefois l’effet escompté, une grande partie des montants ayant connu des détournements politiciens.
Les coupures de courant ont été exacerbées par la suspension il y a plus de deux mois par Téhéran de ses exportations d’énergie vers l’Irak, en raison des retards cumulés de paiement par les autorités de Bagdad.
Avec des températures culminant à cinquante degrés, cela a alimenté la grogne sociale, nourrie, en même temps, par une forte sécheresse agricole dans le sud liée à des précipitations exceptionnellement faibles cette année, mais aussi à un projet turc de construction d’un barrage sur le Tigre. Baptisé Ilisu, celui-ci a dérouté une partie conséquente du débit hydraulique profitant aux agriculteurs irakiens.
Résultat : le nombre de bovins a chuté de 30% en un an, sachant qu’environ un demi-million de familles dans les provinces méridionales du pays vivent de l’élevage, soit un Irakien sur dix.