
Produire du gaz à partir des déchets devient la nouvelle énergie renouvelable à la mode. Et constitue une manière de « valoriser » les dizaines de millions de tonnes de détritus organiques générées par l’activité économique comme par les ménages. Cette « méthanisation » des déchets est une piste intéressante pour les collectivités locales, à condition que les techniques de tri et de recyclage suivent le mouvement. Ce qui n’est pas encore le cas. Cet engouement pour le biogaz risque aussi de provoquer des dégâts collatéraux : multiplication de fermes usines, frénésie concurrentielle entre pays européens, instabilité des prix…
Chaque Français produit 452 kg de déchets ménagers par an, soit environ 30 millions de tonnes par an. Un tiers de ces déchets sont organiques [1] et peuvent être « recyclés » tout en produisant de l’énergie renouvelable. C’est la méthanisation. Car ces déchets, une fois fermentés, donnent un biogaz. Composé surtout de méthane, il peut notamment être transformé en électricité et en chaleur. Ce procédé fonctionne avec des matières organiques animales – comme le fumier ou les déchets d’industrie agroalimentaire – et végétales – résidus de culture par exemple.
Depuis 2006, les gouvernements successifs l’encouragent, en augmentant notamment les tarifs d’achat de l’électricité issue de la méthanisation. En 2013, le plan Énergie méthanisation autonomie azote a prévu l’équipement d’un millier de fermes en méthaniseurs d’ici 2020. Le ministère de l’Écologie a lancé un appel à projets pour la création de 1500 unités d’ici 2017. Malgré une progression rapide (+17 % en 2013), le biogaz ne produit que 2 % de l’énergie renouvelable en France, couvrant les besoins en électricité d’un peu plus de 200 000 foyers, hors chauffage [2].
Agrocarburants, biogaz... Et l’alimentation ?
Pour l’heure, les plans gouvernementaux mettent surtout en avant la méthanisation « à la ferme ». Présentée comme vertueuse, elle permet de recycler les sous-produits de l’agriculture – résidus de culture, fumier, lisier – et de produire de l’énergie (utilisée sur l’exploitation ou revendue), tout en fournissant aux petits exploitants un complément de revenu. Elle suscite cependant des inquiétudes parmi les agriculteurs et les écologistes.
Au premier chef : la possible concurrence entre cultures énergétiques et alimentaires, à l’image du modèle allemand. Outre-Rhin, 7 % des surfaces de maïs sont exclusivement dédiées à la méthanisation avec, pour résultat, une flambée du prix des terres et des matières premières agricoles. Une situation qui rappelle celle des agrocarburants de première génération et qui a poussé l’Allemagne à revoir son soutien à ces cultures. (...)
Le tri des biodéchets dans l’impasse
D’après l’Ademe, 17 % des déchets méthanisés aujourd’hui en France viennent des collectivités [4]. Elles sont une source inépuisable de biodéchets : on en trouve en restauration collective, sur les marchés, dans les tontes de pelouses, ou encore dans les poubelles de cuisine et de jardin des particuliers. Mais pour produire de l’énergie en quantité et obtenir un digestat non pollué, ces déchets doivent être strictement séparés des « inertes », comme le plastique ou le verre par exemple. Et les polluants, comme les métaux lourds, doivent être éliminés. (...)
Souvent, les opérations de tri, complexes, échouent : le compost, pollué, est inutilisable et... incinéré (lire notre précédent article). Face à ce constat, des élus, notamment écologistes, souhaiteraient que la future loi de transition énergétique interdise les nouvelles installations. Celles-ci devraient, dans les faits, être seulement « évitées » et ne plus faire l’objet d’aides des pouvoirs publics. Pourtant, lorsque le tri est efficace, la méthanisation offre aux collectivités disposant d’une unité la possibilité d’utiliser l’électricité produite et de réduire leur part de nucléaire.
Une fois débarrassé de ses composants autres que le méthane (CO2 notamment), le biogaz possède les mêmes propriétés chimiques que le gaz naturel, fossile, qui provient souvent de loin. Il peut alors s’y substituer dans les réseaux de gaz de ville ou à la pompe (carburant GNV). Un point avantageux pour les villes qui, à l’échelle mondiale, consomment les trois quarts de l’énergie produite. Enfin, même si cela reste difficile à quantifier, en évitant d’incinérer des déchets, la méthanisation permet de réduire les émissions de CO2. Et en utilisant le méthane, 25 fois plus polluant que le CO2, elle évite qu’il se diffuse dans l’air.
Des cannettes et mégots de cigarettes dans le compost...
Pour rendre leur installation plus efficace, des agriculteurs recourent à des déchets issus de collectivités ou de l’industrie agroalimentaire, réputés plus productifs en méthane que le fumier et le lisier. On parle alors de co-digestion. Là non plus, le tri n’est pas toujours à la hauteur des exigences de qualité. (...)
La loi du marché déstabilise le recyclage
Les déchets issus de l’industrie agroalimentaire, très productifs en méthane, peuvent eux aussi être employés en co-digestion. En France, ils représentent 16 % des déchets méthanisés. Théoriquement, les producteurs de déchets (collectivités, industrie agroalimentaire, etc.) doivent payer l’exploitant du méthaniseur via une redevance de traitement de déchets. Elle représente souvent le second poste de recettes attendues, derrière la vente d’électricité. D’après un document de l’Ademe datant de 2011, la redevance « varie selon le type de déchets et le contexte local ». L’Ademe invite donc les aspirants méthaniseurs à la « prudence » face à « un marché très concurrentiel et volatile ». (...)
Absence de politique commune européenne
La concurrence avec d’autres filières, qui transforment ces déchets en farines animales ou en fertilisants pour l’agriculture, constitue la principale cause de cette instabilité des prix. Au quotidien, des acteurs du secteur dénoncent même un inversement des rapports, particulièrement pour les rebuts d’abattoirs. (...)
« Il est évident qu’avec l’augmentation du nombre de méthaniseurs en Belgique et en Europe, une concurrence s’installe pour l’approvisionnement en biomasse », complète-t-elle. À partir du moment où les normes sanitaires et sécuritaires du pays récepteur sont respectées, ces flux sont tout à fait légaux. Reste que les distances parcourues pour acheminer les déchets peuvent avoir un impact sur les émissions de CO2. La seule façon d’éviter ce genre de problème serait de s’assurer que les déchets soient traités localement, au plus près du producteur. Et de manière efficace...