C’est une monnaie virtuelle qui a l’avantage d’exister indépendamment des États et des banques. Mais, victime de son succès, le bitcoin est devenu un produit de spéculation comme un autre. Surtout, son fonctionnement nécessite de délirantes quantités d’énergie : à l’année, le système bitcoin consomme plus d’électricité que la Belgique. Explications.
Qu’est-ce qu’une cryptomonnaie ?
C’est en premier lieu une monnaie. Même si elle n’a pas d’existence matérielle, elle permet d’acheter et de vendre des biens et services, au même titre que les euros. Or ces euros, nous les échangeons de plus en plus souvent par carte bancaire ou par virement, donc de manière électronique. Ce transfert passe toujours par l’intermédiaire des banques, auxquelles l’État a confié le rôle de sécuriser les transactions. Les cryptomonnaies ont le même usage que les euros, mais présentent une grande différence : elles se passent des banques, tout en fournissant un protocole de transaction sécurisé.
Comment utiliser le bitcoin ?
Pour ouvrir un compte, il suffit d’installer un des logiciels dédiés à cet usage (nommé « client bitcoin ») et de créer un « portefeuille » (wallet). Certains sites proposent également de le faire, mais cela implique qu’ils possèdent la clé de votre portefeuille, avec les risques associés. Pour obtenir des bitcoins, il faut soit se faire payer un bien ou un service en bitcoins par une personne qui en possède (également par l’intermédiaire d’un logiciel client bitcoin) en lui fournissant l’adresse de notre portefeuille, soit en acheter chez un courtier en ligne, qui met en relation des acheteurs et des vendeurs de monnaies (comme on y achèterait des dollars). Dans de nombreux pays, des « distributeurs » de bitcoins sont mis à disposition dans les rues par des entreprises privées et permettent d’échanger des espèces contre des bitcoins (et inversement) en entrant l’adresse de son portefeuille bitcoin. D’après Statistica. com, il y en a plus de 9 000 aux États-Unis !
Outre-Atlantique, le bitcoin serait déjà accepté par plus d’un tiers des petits et moyens commerces, d’après une enquête commanditée par le cyber- assureur HSB. Fait marquant, Visa et Mastercard sont en train de s’y ouvrir. Au début du printemps, la somme des bitcoins en circulation valait plus de 1 000 milliards de dollars.
D’où vient le bitcoin ?
Il a été créé en 2009 par le mystérieux « Satoshi Nakamoto », une personne ou un groupe dont l’identité réelle reste inconnue. D’abord objet de curiosité réservé aux geeks, le bitcoin est devenu d’année en année un véritable phénomène de société, au point d’inquiéter les États qui, tout au long de l’histoire, ont jalousement gardé le monopole de « battre la monnaie ».
Il faut dire que, dans la foulée de la crise financière de 2008, l’objectif du (ou des) fondateur(s) a été affiché dès le départ : proposer une alternative monétaire décentralisée permettant de se passer des institutions financières étatiques centralisées.
On comprend donc la méfiance des États face à l’émergence de ce nouveau moyen de paiement sans frontières et échappant à leur contrôle. D’autant que la difficulté à identifier les possesseurs – un minimum précautionneux – des portefeuilles l’a transformé ipso facto en standard pour les transactions illégales et la fraude fiscale, à l’instar de l’argent liquide.
En quoi le succès du bitcoin est-il un échec ?
Malgré son succès foudroyant et son adoption de plus en plus large, le bitcoin a visiblement échoué à atteindre son objectif politique initial. Il est en effet devenu un nouvel actif boursier soumis à la spéculation, comme le marché des actions, sur lequel nombre de capitalistes et de financiers se sont jetés dès qu’ils ont entrevu la perspective d’en tirer des bénéfices (...)
. Si le bitcoin a atteint des sommets au début du printemps, comme toutes les bulles financières, il peut se crasher n’importe quand – après avoir dépassé les 63 500 dollars le 13 avril, il en valait moins de 35 000 le 23 mai.
Success-story libérale devenue classique, pauvre un jour et millionnaire le lendemain, voilà le faux espoir d’enrichissement que le bitcoin donne aux investisseurs amateurs, au risque de les ruiner le surlendemain. Le bitcoin pourrait bien être le dernier avatar des vieilles chimères de la ruée vers l’or ou de l’Eldorado, remises au goût du jour pour les aventuriers technophiles du XXIe siècle.
Et en termes écologiques ?
Effectivement, la spéculation et la volatilité ne sont pas la seule face obscure de la pièce numérique. Il y a pire : à la date de l’écriture de cet article, la consommation énergétique annualisée du bitcoin est estimée par l’université de Cambridge [1] à 121 TWh [2]. À titre de comparaison, l’ensemble des centres de données (datacenters) du monde ont consommé près de 200 TWh en 2019 [3], année où la Belgique a consommé environ 84 TWh d’électricité [4] !
Pour assurer une seule transaction en bitcoin, il faut utiliser quelque 215 kWh [5]. Or, d’après la Commission de régulation de l’énergie française, la consommation mensuelle moyenne d’un foyer français était d’environ 395 kWh en 2019...
Ainsi, l’empreinte carbone de cette apocalyptique monnaie est estimée annuellement à 37 mégatonnes de CO2 par le site Digiconomist.net [6], soit l’équivalent des émissions de la Nouvelle-Zélande ! Face à ce constat, un écologiste a appelé les hackers du monde entier à faire tomber le réseau bitcoin [7]...
Pourquoi le bitcoin est-il si énergivore ?
Pour éviter les fraudes et garantir l’intégrité du système bitcoin, chaque transaction nécessite la résolution d’une très complexe énigme informatique (voir encadré). C’est à ce moment-là qu’interviennent les « mineurs » de bitcoin, qui sont des entreprises ou des particuliers mettant leurs ordinateurs au service du réseau bitcoin et étant rémunérés en bitcoins. Leurs machines passent leur temps à faire des calculs, très énergivores, afin de résoudre des énigmes mathématiques qui permettent de sécuriser les transactions de tous les autres utilisateurs. Ces énigmes sont si complexes que, pour être résolues, elles nécessitent de nombreux ordinateurs connectés en parallèle – les résultats ne peuvent donc pas être falsifiés par une personne mal intentionnée.
Le comble de l’ironie avec le terme consacré de « minage » (mining) est qu’une importante partie de l’électricité utilisée pour ces calculs provient de centrales à charbon ou plus généralement d’énergies fossiles. Il est donc possible de filer la métaphore, car le minage de bitcoins n’est pas seulement virtuel, il contribue à un extractivisme destructeur pour la planète.
Y a-t-il des alternatives ?
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Autre scandale : quand un mineur résout une énigme et parvient donc à créer un nouveau bloc, l’électricité utilisée par les mineurs concurrents, qui tentaient de résoudre l’énigme de leur côté également, a été dépensée pour rien...
Comme à l’époque de la ruée vers l’or, peu parviennent à tirer leur épingle du jeu ; au vrai, ce sont les fournisseurs de matériel ou d’énergie et les gros investisseurs qui s’enrichissent le plus. (...)
Mais le critère le plus déterminant dans le choix du lieu d’installation est le coût de l’électricité. C’est en Chine, un pays dont le mix électrique reste très focalisé sur le charbon et les autres énergies fossiles, que les mineurs de bitcoins sont le plus implantés, à hauteur de 75 % de la puissance de minage mondiale [11].