
On estime à environ quatre millions le nombre de personnes sans-papiers en Europe. Ces deux dernières décennies, des dizaines de lieux d’enfermement d’étrangers, pour raisons administratives, ont été construits à travers le continent. En Belgique, on les appelle « centres fermés », et une personne peut y être détenue jusqu’à 8 mois. De nombreuses révoltes s’y succèdent, à l’instar de celles que l’Italie connaît depuis 2009.
La crise sanitaire du covid-19 les remet au devant de la scène : pour les conditions de détention qui y règnent, l’absurdité du maintien de leur activité alors que les frontières sont fermées (les mesures d’« éloignement » rendues dès lors presque impossibles), mais aussi pour les nouvelles émeutes qui y éclatent, en réaction à cette violence politique et institutionnelle que rien ne semble vouloir suspendre. (...)
La pratique d’enfermement d’étrangers en Europe ne date pas des dernières décennies : loin s’en faut. Le XXe siècle abonde en exemples. (...)
On compte aujourd’hui six structures d’enfermement d’étrangers sur le territoire belge, pouvant détenir simultanément 700 personnes derrière des murs doublés de barbelés. 8 000 personnes se verraient ainsi enfermées, chaque année, dans ce pays qui définit la détention non comme une sanction mais un moyen d’exécuter une mesure d’expulsion (...)
En mai 2017, le gouvernement belge a adopté le projet « masterplan de centres fermés » de Théo Francken — un membre du parti nationaliste flamand N‑VA, notamment connu pour ses propos racistes —, alors en poste au secrétariat à l’asile et à la migration, qui prévoyait de doubler la capacité de rétention d’étrangers d’ici à 2021. C’est dans cette perspective qu’un centre fermé non mixte pour femmes a ouvert à Holsbeek, en Flandres, le 7 mai 2019.
Évolution des dispositifs d’enfermement
Les pratiques d’arrestation et d’enfermement, mais aussi de traitement des arrivées d’exilés, de migrants ou de réfugiés — autrement dit de ces nouvelles figures de l’immigré3 —, ne cessent de bouger. Le fonctionnement des centres fermés, tout comme ce qui peut s’y dérouler, est caché à la population : les visites sont très strictement contrôlées (même les avocats n’en voient qu’une partie) ; les téléphones munis d’un appareil photo sont confisqués4, etc. Deux collectifs de lutte contre les expulsions et pour la régularisation de tous les sans-papiers, la Coordination contre les rafles et les expulsions pour la régularisation (CRER) et Getting the Voice Out (GVO), très actifs, permettent d’en savoir plus. (...)
La CRER, née en 2001 suite à une grande rafle d’Équatoriens à Bruxelles, vise à apporter un soutien logistique aux luttes menées par les collectifs de sans-papiers. (...)
Avec les militants de GVO (dont le site Internet diffuse régulièrement des témoignages de personnes détenues), ils organisent des actions : manifestations, blocages, rassemblements devant les centres fermés, etc. Cette expérience de terrain leur donne une vue sur un temps relativement long et leur permet de témoigner de l’évolution du fonctionnement interne des centres fermés ainsi que des méthodes de répression employées.