Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mondialisation
« Le capitalisme arrivera-t-il à absorber le Forum Social Mondial ? »
Entretien avec Olivier Bonfond et Eric Toussaint
Article mis en ligne le 31 mars 2010
dernière modification le 30 mars 2010

Malgré une analyse très critique, Eric Toussaint et Olivier Bonfond pensent que le Forum Social Mondial peut encore jouer un rôle positif, mais sous certaines conditions.

A la base de ces grands évènements que sont les forums mondiaux, il y avait l’objectif de transformer la société en quelque chose de mieux, où il y a plus de justice sociale, moins d’inégalités, où tous les citoyens ont leurs droits humains fondamentaux satisfaits.

Mais en réalité la question doit être posée autrement. Il s’agit de déterminer si le FSM et le mouvement altermondialiste ont joué un rôle positif dans la construction d’un rapport de force en faveur des exploités et des opprimés de la planète. La réponse est alors plutôt positive. Mais le FSM n’a rien de miraculeux et reste un processus en mouvement, avec ses faiblesses et contradictions. Il est aussi très « jeune » : le FSM n’a que 10 ans et le mouvement altermondialiste à peine plus, ce qui est très peu comparativement aux forces auxquelles ils s’attaquent, à savoir celles d’une oligarchie capitaliste internationale et de sociétés transnationales au service desquelles agissent de puissants instruments comme la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, l’OTAN…

...Le FSM a joué un rôle très important à deux niveaux.

 Premièrement, dans la délégitimation du néolibéralisme comme seul modèle possible pour l’humanité. ..

 L’autre acquis très important du FSM est qu’il a permis, d’une part, la construction et le renforcement de réseaux internationaux, et d’autre part, la mise en connexion entre ces différents réseaux. Dans le cadre de la lutte contre le capitalisme mondialisé, cet aspect est fondamental.

...C’est indéniable que le Forum a perdu de sa vitalité, de son utilité et en partie de sa légitimité (surtout à partir du FSM organisé à Nairobi en janvier 2007[2]). Les causes sont multiples : l’institutionnalisation du FSM, le renforcement de l’influence de grandes ONG disposant de grands moyens financiers, le goût d’une partie des délégations et des dirigeants du FSM pour les hôtels 4 ou 5 étoiles, l’incapacité à réellement « fusionner » les activités pendant les forums mondiaux (plus de 1500 activités en 5 jours lors du dernier FSM de Belém), la recherche de fonds auprès de grandes entreprises privées ou mixtes (Petrobras, la grande société pétrolière brésilienne dont 61% du capital est privé, la Fondation Ford, la multinationale CELTEL en Afrique,…).

L’évolution politique des dernières années a aussi pesé fortement.

...D’importantes forces qui étaient à la base de la création du Forum social mondial ont soutenu ou soutiennent encore ces gouvernements qui ont mené (ou mènent encore) des politiques social-libérales ou carrément néolibérales.

Il faut aussi dire que le FSM et le mouvement alter manquent de « victoires » sur le plan mondial. Heureusement, sur le continent latino-américain, la lutte contre l’ALCA (Accord de Libre Commerce des Amériques voulu par Washington) qui a vaincu en 2005 est à mettre en partie à son crédit.

...on peut dire que le FSM s’essouffle, dans le sens qu’il manque d’air ou de carburant pour faire passer à la vitesse supérieure.

...le FSM ressemble de plus en plus à un énorme marché à idées (et à propositions) qui ne débouche pas sur un combat commun pour réaliser certains objectifs.

...Il existe une proposition qui, à la vérité, a eu relativement peu de répercussion. Il s’agit de l’appel que Hugo Chávez a lancé fin novembre 2009 pour la création d’une Cinquième Internationale qui réunirait des mouvements sociaux et des partis de gauche...

...la Cinquième Internationale ne devrait pas avoir un haut niveau de centralisation et ne devrait pas impliquer une auto-dissolution des réseaux internationaux ou d’une organisation comme la Quatrième Internationale. Ceux-ci pourraient adhérer à la Cinquième Internationale en gardant leurs caractéristiques mais une telle adhésion démontrerait que tous les réseaux ou grands mouvements ont la volonté d’aller plus loin que des fronts ponctuels comme les coalitions sur le climat et la justice sociale, la souveraineté alimentaire, la dette...

... L’élément le plus positif des activités réalisées à Porto Alegre en janvier 2010 a sans doute été le lancement d’une campagne internationale contre la présence de bases militaires sur le continent latino-américain. Cette campagne, « Amérique latine et Caraïbes : une région de paix. Non aux bases militaires étrangères ! », portée par une plateforme d’organisations très importantes[8], montre bien que le FSM, en tant qu’espace ouvert, peut encore permettre la concrétisation de campagnes mobilisatrices.

Autre point positif : l’activité visant à préparer la mobilisation pour la « Conférence mondiale des peuples sur le changement climat et la défense de la Terre Mère »[9], qui aura lieu à Cochabamba du 19 au 22 avril 2010, a rassemblé beaucoup d’organisations.

Malheureusement, les éléments négatifs n’ont pas manqué, ni à Porto Alegre, ni à Salvador de Bahia. Il faut souligner :

 premièrement la faible présence de mouvements sociaux (notamment des organisations indigènes qui avaient influencé positivement le FSM tenu à Belém en janvier 2009), et donc des débats largement dominés par des grandes ONG qui ne veulent absolument pas s’attaquer à la logique profonde du système capitaliste.

 Ensuite, même si ce n’est pas nouveau, l’organisation de ces deux forums a été financée par des transnationales comme Petrobras. Petrobras est une entreprise mixte qui exploite le pétrole et le gaz notamment en Bolivie, en Equateur et au Brésil en provoquant des dégâts écologiques très graves. Lorsqu’on rappelle l’article 4 de la Charte des principes de Porto Alegre : « Les alternatives proposées au Forum Social Mondial s’opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales au service de leurs intérêts. »[10], on comprend tout de suite où se situe le problème. D’autant plus que ces forums se sont caractérisés par une impressionnante présence du gouvernement Lula, tant au niveau du soutien financier, ce qui n’est pas nouveau non plus, qu’au niveau de la programmation dans les différentes activités....

...Il est tout à fait possible que le FSM soit progressivement « absorbé » par le système capitaliste. Il n’y aurait rien d’étonnant à cela. Le capitalisme n’a plus rien à prouver quant à sa capacité à s’adapter et à récupérer à son compte les dynamiques créées au départ pour lutter contre lui...

Le FSM, tout comme les ONG, mouvements sociaux et individus qui le composent, ne sont pas à l’abri du danger.

Cependant, en tant que réseau radical, le CADTM pense que le FSM peut encore jouer un rôle positif comme lieu de débat sur des pistes alternatives pour assurer un authentique développement humain, basé sur la justice sociale et le respect de la nature. Le FSM doit en plus renforcer les convergences entre tous les mouvements qui veulent passer à l’action ensemble. Ces mouvements se mettront d’accord entre eux à l’occasion des activités du Forum.

Par ailleurs, le CADTM poursuivra sa participation active à l’assemblée mondiale des mouvements sociaux (AMS) qui est née en janvier 2001 à Porto Alegre à l’occasion du premier FSM.

...Du 21 au 23 janvier 2010, à Sao Paulo, différents mouvements sociaux qui participent depuis plus ou moins longtemps à l’AMS, se sont réunis en séminaire afin de faire le point sur la nouvelle conjoncture internationale, mais aussi et surtout de voir comment organiser les différentes forces en présence et mieux les articuler afin de renforcer les luttes au niveau mondial.

Les débats sur la conjoncture ont mis en exergue la gravité et le caractère multidimensionnel de la crise systémique qui s’impose en ce moment principalement par la militarisation et par la criminalisation des mouvements sociaux.

Au niveau de la stratégie d’action, la décision la plus importante a sans doute été de travailler à la réalisation d’un prochain séminaire de l’assemblée mondiale des mouvements sociaux en Afrique, plusieurs mois avant le FSM 2011 qui aura lieu à Dakar en janvier 2011.

L’objectif est double.

 Premièrement, il s’agit de renforcer la communication et la coordination au niveau du continent africain, tout en gardant une perspective mondiale, puisqu’il s’agira bien d’une réunion internationale avec la présence de mouvements sociaux africains, américains, asiatiques et européens.

 Ensuite, il s’agit de dynamiser la mobilisation pour le prochain forum Social Mondial, et de faire en sorte que ce Forum ait un impact concret positif pour les mouvements sociaux et les luttes africaines. ...

lire aussi : Le rebond du Forum social mondial

Pour lire l’intégralité de l’article,