
(...) Le portrait de M. Malek dressé par Bloomberg Businessweek aurait pu s’intituler « L’éthique frériste et l’esprit du capitalisme », tant il semble paraphraser l’ouvrage classique du sociologue Max Weber. Les Malek, explique le magazine, « font partie d’une génération de conservateurs religieux ascendante dans le monde musulman, dont la dévotion stimule la détermination à réussir dans les affaires et la politique. (...)
Comme le dit Malek : “Je n’ai rien d’autre dans ma vie que le travail et la famille.” Ces islamistes posent un formidable défi à la gouvernance laïque dans des pays comme l’Egypte, non seulement à cause de leur conservatisme, mais aussi en raison de leur éthique de travail, de leur détermination et de leur abstention apparente du péché de paresse. (…) “Le fonds de la vision économique de la confrérie, s’il fallait la définir d’une façon classique, est un capitalisme extrême”, dit Sameh Elbarqy, ancien membre de la confrérie (1) ».
Ce « capitalisme extrême » se manifeste dans le choix des experts en économie participant à l’assemblée chargée de rédiger le projet de Constitution égyptienne, largement dominée par les Frères musulmans et les salafistes, et boycottée par l’opposition libérale et de gauche. (...)
Les recettes néolibérales ont déjà démontré leur incapacité à extraire le pays du cercle vicieux du sous-développement et de la dépendance. Elles l’y ont au contraire enfoncé davantage. L’instabilité politique et sociale créée par le soulèvement ne peut que contrarier la perspective d’une croissance tirée par les investissements privés. Et il faut avoir la foi du charbonnier pour croire que le Qatar suppléera à l’indigence des investissements publics.
Du temps de M. Moubarak, il restait aux pauvres le recours à la charité combinée avec l’« opium du peuple » — « L’islam est la solution », promettaient les Frères musulmans depuis des décennies, dissimulant derrière ce slogan creux leur incapacité à formuler un programme économique fondamentalement différent de celui du pouvoir en place.
L’heure de vérité a sonné (...)
Les trafiquants de l’« opium du peuple » sont parvenus au pouvoir. La vertu soporifique de leurs promesses s’en trouve forcément diminuée. Il y a plus d’un quart de siècle, un des meilleurs orientalistes français, Maxime Rodinson, avait bien formulé le problème : « L’intégrisme islamique est un mouvement temporaire, transitoire, mais il peut durer encore trente ans ou cinquante ans — je ne sais pas. Là où il n’est pas au pouvoir, il restera comme idéal tant qu’il y aura cette frustration de base, cette insatisfaction qui pousse les gens à s’engager à l’extrême. Il faut une longue expérience du cléricalisme afin de s’en dégoûter : en Europe, cela a pris pas mal de temps ! (...)