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Le cas Tariq Ramadan ou le défi de lutter sur plusieurs fronts
#violencessexuelles #intersectionnalite
Article mis en ligne le 23 mai 2023
dernière modification le 22 mai 2023

Le procès pour viol de Tariq Ramadan a eu lieu la semaine dernière, trois ans d’emprisonnement ont été requis. Au-delà du jugement, qui sera rendu le 24 mai, il nous paraît important de revenir sur les réactions qu’avaient suscitées les prises de parole publiques des victimes de T. Ramadan en 2017, et notamment celles de « Brigitte », qui s’est à nouveau exprimée lors du procès. Dans un texte que nous reproduisons aujourd’hui tel qu’il a été publié le 7 novembre 2017, Souad Bekta exprimait son refus de voir les plaignantes traînées dans la boue au nom de l’anti-racisme.

« Laissons la justice faire son travail ! ». « Et la présomption d’innocence ? ». Le texte qui suit n’a évidemment pas pour vocation à se substituer au verdict judiciaire. On voit vite à sa lecture, d’ailleurs, qu’il est finalement peu question de « l’affaire Tariq Ramadan » en elle-même : ce sont les réactions suscitées par ce nouveau scandale qui m’intéressent et qui m’ont poussée à réagir. Par ailleurs, l’usage abusif de la présomption d’innocence pour suspendre toute pensée critique et verrouiller le débat politique sert un agenda clair auquel je m’oppose fortement, d’autant plus lorsqu’il devient un moyen d’accabler les plaignantes.

C’est un bien triste spectacle qui a accompagné et suivi les accusations de violences sexuelles et de viol à l’encontre de Tariq Ramadan. Les réactions, comme toujours, ont été extrêmement polarisées. Ici, un déferlement de haine, d’insultes sexistes et de commentaires d’une bassesse inégalée à l’encontre des plaignantes ; là, des commentaires racistes et islamophobes qui accablent, à travers un homme, toute une communauté.

Et n’est-ce pas le propre du racisme que de recourir à des procédés essentialistes : un homme musulman est toujours plus qu’un homme. Il est l’arbre qui représente la forêt, faute de la cacher. Il est la forêt. D’autres ont vu dans ces accusations une occasion en or pour faire taire Tariq Ramadan, perçu et fantasmé comme le cheval de Troie de l’islamisme en Europe.

Beaucoup attendent des réactions de la « communauté musulmane » et du monde associatif et religieux musulman. Regrette–t-on l’absence d’une campagne de type #NotInMyName ? Faut-il encore une fois, montrer patte blanche ?

Bien que critique de cette injonction pressante à réagir, je me retrouve là, moi, musulmane de France, militante antiraciste, prise par l’urgence d’écrire sur ce que révèlent les réactions révoltantes suscitées par cette affaire. Il semble primordial de rappeler que des accusations aussi graves doivent systématiquement être prises au sérieux et être reçues avec gravité. On ne prend pas une accusation de viol à la légère, d’autant plus lorsque des personnalités publiques sont concernées et que par conséquent, la violence des réactions de part et d’autre est si prévisible.

La nécessité d’une approche intersectionnelle (...)

L’intersectionnalité désigne la situation de personnes qui subissent simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. C’est une théorie qui promeut une approche intégrée des inégalités sociales en faisant lumière sur l’imbrication de différentes structures d’oppression (race, sexe, classe, etc.) et sur leur caractère indissociable. Ainsi, si toutes les femmes sont oppressées en tant que femmes, un mouvement féministe ne pourra prétendre parler pour toutes les femmes qu’à partir du moment où il prendra en considération la situation de femmes qui subissent également du racisme au sein d’une société.

Par conséquent, en insistant sur la nécessité d’une approche inclusive, l’approche intersectionnelle refuse la hiérarchisation des différentes structures de domination sociale. Les féministes noires étaient à la fois critiques du racisme au sein du mouvement des féministes blanches et du sexisme au sein des mouvements antiracistes, et au sein de la société toute entière.

Or, c’est une chose de hiérarchiser les structures de domination sociale. C’en est une autre d’utiliser une forme de domination pour en nier une autre, et c’est ce que l’affaire des accusations à l’encontre de Tariq Ramadan génère à plusieurs égards. On s’indigne autant des commentaires sexistes à l’encontre des plaignantes pour sauver la cause d’un antiracisme androcentré que des réflexions racistes et islamophobes qui nourrissent un féminisme dévoyé à géométrie variable. (...)