
Entonné par quelques chroniqueurs semblables et interchangeables, le sermon matinal à la gloire du marché ne connaît pas de frontières sur les ondes. Au sortir du lit ou encore sous la couette, à l’écoute de France Inter ou d’Europe 1, de RTL ou de RMC, dès qu’il est question d’économie, l’auditeur a toujours droit à la même sonnerie de réveil.
En décembre 1999, Serge Halimi rédigeait un article paru dans Le Monde diplomatique et disponible ici même – « Lancinante petite musique des chroniques économiques » – dans lequel il était question du discours uniforme diffusé sur les ondes radiophoniques. Les éditorialistes économiques de l’époque – Jean-Marc Sylvestre pour France Inter, Nicolas Beytout pour RTL ou Jacques Barraux pour Radio Classique – partageaient à peu près les mêmes opinions et vantaient de concert ou à tour de rôle (selon l’heure de diffusion) les atouts du marché et de la mondialisation. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Croit-on… (...)
À entendre les petites allocutions matinales des chroniqueurs économiques, il est urgent de réduire massivement les dépenses publiques. Dominique Seux (le 22 novembre) explique que « si la croissance reste faible, et comme le bouton “Impôts” est enfoncé au maximum, c’est du côté des 1 200 milliards de dépenses qu’il faudra regarder. » On a compris. (...)
Les radios se ressemblent... et les matinées aussi. Le 20 novembre, les mêmes chroniqueurs s’émeuvent collectivement de la dégradation de la note de la France par l’agence Moody’s. Les commentaires sont identiques, et les conclusions, interchangeables. Pour Tarlé, sur Europe 1, la perte du triple A est « une sanction de vingt ans de dérives. […] On comprend le message : la France doit maintenant agir, libérer son économie, c’est tout ce qu’on rabâche depuis des années sur la souplesse, le coût du travail. Maintenant, il faut y aller franchement, sinon c’est la Grèce qui nous attend. »
Sur France Inter, Seux ne dit pas autre chose (...)
Mais la compétitivité n’est pas la seule clé pour ouvrir la porte du paradis libéral. En effet, le chroniqueur de RTL suggère de s’attaquer au code du travail, car « il est devenu tellement complexe et éloigné des réalités économiques qu’il exclut de facto tous ceux qui veulent y entrer. » (le 29 novembre). Pour lui, l’idéal est à chercher du côté des montagnes helvètes : « Le code du travail, c’est 3 400 pages en mouvement perpétuel. En Suisse, où 250 000 Français travaillent – et, je crois, dans de bonnes conditions –, le code du travail fait 75 pages. » De là à dire que le paradis se trouve sur les sommets des Alpes...
Enfin, si l’Allemagne est toujours un inaccessible modèle, ils vouent aussi une admiration sans limites à Mario Monti et à ses méthodes (...)
En bref et pour résumer la pensée matinale des journalistes économiques – il suffit de citer Menanteau, sur RTL –, « il y a des emplois non pourvus sur le marché du travail français. Il y a plusieurs verrous : la faible compétitivité globale de l’économie française, l’inefficacité de nos dépenses publiques, mais surtout, surtout, l’état de notre marché du travail, qui marche sur la tête. Nous avons le pire indice de flexibilité d’emploi des grands pays de l’OCDE. » (29 novembre) (...)
Tous, éditorialistes appointés et experts cooptés, ont alors beau jeu de prôner la rigueur permanente et de vanter aux auditeurs les bienfaits de la saignée austéritaire qu’on leur inflige. Ils bénéficient du même type de privilège que les marchés financiers dont ils redoutent tant les oukases, et dont ils se font les porte-parole dévoués face aux peuples rétifs et aux gouvernements trop peu diligents à leur goût : une irresponsabilité à peu près totale ! Quelles que soient leurs erreurs de jugement et d’analyse, sans cesse réitérées – et, surtout, quelles que soient les conséquences sociales et politiques de leurs préconisations : anémie démocratique ou paupérisation généralisée en Europe –, ils continuent de jouir de la même immunité médiatique.