Je ne prétends pas englober tous les aspects de la crise mondiale en cours. Cela, pour trois raisons.
Par manque de compétences, notamment sur les aspects médicaux ; des éclairages sont proposés par d’autres, pertinents en ce domaine, mieux vaut s’y reporter. Accessoirement, on notera que cette retenue volontaire à propos des avis médicaux n’est pas contradictoire avec une volonté autogestionnaire persistante, même en temps de confinement. L’autogestion ne signifie pas que tout le monde sait tout sur tout, que tout le monde fait tout, que tout le monde doit s’intéresser à tout ; mais que rien n’est confisqué par quiconque et que tout se complète, que tout doit coopérer et qu’il faut construire ensemble. Donc tous et toutes sont égaux socialement, à tous points de vue.
Par choix, pour ce qui est des analyses et des perspectives politiques. La période en facilite l’éclosion. Là aussi, notre choix éditorial est de permettre de retrouver certaines d’entre elles. Mais la situation est paradoxale : nous recevons un très grand nombre de textes et d’appels ; l’ébullition intellectuelle collective est une bonne chose. Mais, justement, est-elle vraiment collective cette ébullition ? N’est-elle pas le fait d’une minorité ? Situation habituelle, pourrait-on dire… À la différence qu’en temps de non-confinement, une partie de celles et ceux qui produisent de telles analyses le font dans des cadres collectifs, après des échanges, des controverses, des remises en cause, des enrichissements mutuels ; les innombrables conférences téléphoniques ne remplacent pas cela. Pour le dire clairement, ce qui manque à nombre de ces contributions, c’est que bien souvent elles ne sont pas liées à l’activité sociale et ne donnent guère d’indications pour la lutte concrète, aujourd’hui comme pour le « jour d’après ».
Bien sûr, c’est un problème qui ne se limite pas au temps de confinement, mais le contexte renforce cela. En effet, qui, mieux que celles et ceux qui travaillent ensemble, doit définir dans quelles conditions et avec quels moyens la sécurité est vraiment assurée ? Qui, mieux qu’elles et eux, sait comment organiser le travail ? (...)
Des inégalités parties prenantes du capitalisme
Ce n’est pas le capitalisme qui a inventé le coronavirus. Mais il est responsable de sa propagation planétaire et du désastre humain qui l’accompagne. Inutile de dire que nous nous serions bien passé·es de cette démonstration de l’inefficacité et du danger de ce système et de ses caractéristiques : la propriété privée des moyens de production, bien sûr, mais aussi la confiscation des décisions par quelques-un·es, le rôle de l’État et des pouvoirs dits publics, la hiérarchie, les inégalités, les discriminations, la répression, etc. (...)
Les habitantes et habitants des quartiers les plus pauvres sont plus touché·es par la crise. Une fois de plus, on ne compte pas les cas de violences policières. Certes, la violence d’État n’a nul besoin du confinement pour s’exercer. Mais c’est une opportunité de plus pour réprimer et humilier celles et ceux qui vivent dans ces quartiers, particulièrement les non-Blancs et non-Blanches. Gazages, tabassages, LBD, etc. : on retrouve les pires moments des occupations policières lors des révoltes des quartiers populaires. Le premier rapport de l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire confirme ce constat (...)
La résistance et l’entraide se sont mises en place autour de collectifs et de structures préexistant dans les quartiers. Si la dimension de classe n’y est pas forcément théorisée ni même assumée, c’est pourtant bel et bien une composante de notre classe sociale qui s’organise avec les outils dont elle dispose. Reste posée la question du lien avec l’organisation spécifique de cette classe, le syndicat. Des choses se font, beaucoup trop peu. Mais nous le savions déjà. Le trop faible nombre d’unions locales n’est pas dû au coronavirus.
Les initiatives comme la suspension du paiement des loyers, soutenue par de nombreuses organisations, à l’initiative de Droit au logement (DAL), sont des points d’appui importants. (...)
La situation dans les prisons et dans les centres de rétention administrative (CRA) est catastrophique. Là encore, on est tenté de dire : oui, comme en temps ordinaire. Et comme en temps ordinaire, la population qu’on y trouve est ultra-majoritairement constituée de personnes des milieux populaires. Ces lieux d’enfermement sont propices à la propagation du virus. Mépris habituel dans ces zones où les droits élémentaires sont « abolis », qui se traduit par la non-prise en charge des malades ou, au mieux, une prise en charge tardive. (...)
Autre lieu de quasi-enfermement d’une partie de la classe travailleuse : les foyers de travailleurs et travailleuses immigré·es. Ici aussi, le confinement provoque des dégâts ; mais ce n’est pas cette décision le fond du problème : ce sont les conditions préexistantes. Comment parler de gestes-barrières quand on est entassés à six dans des chambres minuscules ? Bien entendu, sans que soit fourni le minimum de matériel de protection – en dehors de ce que peuvent faire, de manière autogérée, les délégués des foyers, les Gilets noirs ou les Brigades de solidarité populaire. L’État n’intervient pas. Les propriétaires, oui : mais seulement pour réclamer les loyers ! (...)
Pour les sans-papiers, les contrôles policiers d’autorisation de sortie signifient une quasi-obligation de ne pas sortir du tout ; car, outre les attestations, il faut produire une pièce d’identité… (...)
Quant aux foyers pour personnes âgées, les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD), inutile de s’étendre sur la situation : on en connaît la mortalité particulièrement élevée. Il est clair que l’insuffisance de moyens, humains et matériels, dont dispose le personnel a considérablement aggravé la situation. Cela avait été expliqué, argumenté et démontré, depuis longtemps, par les organisations syndicales du secteur, ainsi que par celles de retraité·es. N’oublions pas non plus d’attirer l’attention sur les personnes vivant dans les instituts médico-éducatifs (IME) ou dans les établissements psychiatriques Elles aussi paient encore plus cher la pandémie.
Il en est de même pour les sans-abri, les SDF, les squatters. Marginaux ? Sous-prolétariat ? Qu’importe ? Les travailleurs et travailleuses pauvres ne sont pas une création de la pandémie. Mais par la déstructuration sociale qu’elle crée, celle-ci amplifie des situations déjà critiques.
Pour ce qui est des « confettis de l’empire », reportons-nous à cette récente communication du Réseau syndical international de solidarité et de luttes :
Les populations des pays encore colonisés subissent une peine supplémentaire. Dans ces régions du monde, toute l’économie est tournée vers les besoins des pays colonisateurs. Cela a des conséquences dramatiques dans la crise que nous connaissons (...)
Le collectif Ni guerre ni état de guerre dénonce l’envoi de deux navires porte-hélicoptères, un vers La Réunion, l’autre vers la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane : deux navires militaires non médicalisés… Outre la claire menace d’intervention militaire en cas de révolte populaire, on notera le mépris habituel : un des deux navires est présenté comme devant répondre aux besoins de populations en se rendant à proximité « de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane » : mais il y a 1 650 kilomètres entre la Guyane et la Guadeloupe ! Qui oserait annoncer l’envoi d’un navire vers les rives européennes de l’océan Atlantique en affirmant qu’il répondra aux besoins du Portugal, de l’Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Belgique ? Quel sens ont les consignes de confinement lorsque les populations n’ont pas l’eau courante ? C’est le cas de 30 % des logements à Mayotte… (...)