
« Le discours de Grenoble est une folie, mais une folie assumée », écrit Pierre Cornu, historien (université Clermont-2). La trangression républicaine que constitue la discrimination des Français selon leur origine, et l’assimilation de l’étranger au déliquant amène à la prise de conscience que le sarkozysme est « une illusion mortifère de prise en compte des besoins et des attentes de la nation, dans le reniement de ses héritages les plus précieux et de ses intérêts véritables. »
...L’heure n’est toutefois pas à la dénonciation et au procès du ou des responsables. Ils ont d’ores et déjà accompli l’essentiel de leur rôle historique, en légitimant politiquement et symboliquement un processus d’auto-épuration xénophobe du corps social, qui était jusqu’alors contenu vaille que vaille par le droit, la raison et les tabous de la mémoire du 20e siècle. De fait, un point de non-retour a été franchi, que même une improbable repentance ou une incertaine alternance ne sauraient abolir complètement....
...une propagande jusqu’alors indirecte, et désormais explicite, désigne dans l’Autre la cause unique des maux de la nation : le terrain est préparé pour le pire....
...Consciemment ou non, volontairement ou non, l’ennemi désigné - jeune, masculin, issu de la périphérie proche de l’Europe et adepte supposé d’une religion agressive - doit jouer son rôle : jeter la société française dans les bras d’un pouvoir autoritaire, garant autoproclamé de l’identité symbolique de la population « de souche » (ce qui ne coûte pas grand-chose), et soutien discret mais efficace des privilèges matériels de l’aristocratie....
...Certes, on ne peut dire que la société française soit toute entière devenue xénophobe et antihumaniste, loin s’en faut. Les réactions indignées au discours de Grenoble l’attestent. Mais le président a encouragé ceux qui étaient les plus susceptibles de succomber à cette tentation ou qui y avaient déjà succombé depuis longtemps...
..on peut soit se lamenter sur l’époque et se retirer dans la misanthropie, soit prendre acte de la situation et faire le nécessaire pour l’affronter avec quelque chance de succès. Ce qui implique un réexamen en profondeur de la stratégie d’opposition à la « dérive » observable depuis 2002 et amplifiée depuis 2007....
...le combat n’est pas à mener seulement dans les lieux de pouvoir, mais également et surtout dans les espaces de la vie sociale - entreprises, lieux de sociabilité, écoles, administrations, collectivités - où se joue la survie des principes républicains d’égalité en droits et en dignité des hommes, des femmes et des enfants qui vivent sur le territoire. Il faut que la république vécue reprenne vie et forme jusqu’à se défaire de la république corrompue qui la représente indûment....
...Ce dont la population de ce pays a un besoin urgent, c’est en vérité d’une réactualisation critique et rigoureuse de la « question sociale » - celle du partage de la valeur et du souci du bien commun à l’heure de la contrainte environnementale. ...