
Un maire, mécontent de l’analyse rédigée par une professeure de droit dans une revue juridique, a obtenu d’y publier un droit de réponse venimeux et diffamatoire. Une nouvelle manière d’intimider les universitaires et de brider leur expression.
C’est un nouvel épisode dans la tentative de certains acteurs, publics ou privés, de bâillonner l’expression des universitaires dans le cadre d’une publication scientifique. Cette fois c’est l’austère revue Actualité juridique – droit administratif (Ajda) qui a été le théâtre d’une volonté d’intimidation, et une certaine vision du droit de la presse qui en a été l’outil.
Depuis plusieurs années, des poursuites en diffamations avaient été intentées contre des chercheurs pour tenter de les décrédibiliser. On pouvait légitimement espérer après l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 septembre dernier que les enseignants-chercheurs juristes seraient protégés des tentatives de mise en cause de leur liberté d’expression sous la forme de « procédure – bâillon », ces poursuites judiciaires coûteuses que leur intentaient des acteurs beaucoup plus fortunés qu’eux.
Dans cette décision, la cour avait sévèrement jugé l’action en diffamation menée contre le commentateur d’un arrêt dans une revue scientifique, en énonçant que le fait même d’engager une telle procédure constituait « une atteinte à la liberté d’expression » de l’enseignant-chercheur. Et pour bien se faire comprendre elle avait condamné la société privée qui avait engagé l’action à 20 000 euros de dommages-intérêts pour « procédure abusive ».
Hélas, l’encre de cet arrêt était à peine sèche que les universitaires juristes ont constaté que la contestation de leurs analyses scientifiques par des intérêts particuliers ne cessait pas pour autant. Et puisque la porte du prétoire leur a été fermée par la cour d’appel de Paris, c’est en usant des ressources du droit de la presse et du droit de réponse qu’ils essayent de se faire entendre. (...)
En soi, le fait d’admettre que les analyses produites par des universitaires soient soumises à la discussion n’est pas contestable. Cette discussion peut s’opérer dans un cadre académique, et les juristes sont d’ailleurs familiers des « controverses » qui enrichissent la réflexion. Elle peut aussi s’opérer hors du cadre académique car les universitaires inscrivent leurs réflexions dans une réalité sociale et il est donc normal qu’ils soient soumis à la critique des acteurs sociaux.
Mais ce qui se joue ici est différent. Nous sommes très loin de la discussion, académique ou non. Sous cette forme du droit de réponse, l’élu poursuit en réalité les mêmes objectifs que les auteurs de la plainte en diffamation qui ont été condamnées par la décision de la cour d’appel de Paris : décrédibiliser l’analyse scientifique, en contester la légitimité et procéder à une tentative d’intimidation de l’auteure comme de la revue. (...)