
Lundi soir, malgré les pressions et après un conseil municipal interminable, Éric Piolle a fait adopter, sur le fil, un changement du règlement intérieur des piscines municipales. Les militantes qui se sont battues pour pouvoir porter le burkini reviennent, pour Mediapart, sur la genèse de leur combat.
Ambiance électrique à l’hôtel de ville de Grenoble, ce lundi 16 mai. Alors que devant la mairie, un petit groupe de militants brandissent des drapeaux tricolores en criant « Piolle démission ! », c’est un conseil municipal sous haute tension qui commence, à 15 heures, entre les murs de la mairie. À l’ordre du jour : le vote sur l’autorisation du burkini – mais aussi du « topless » - à la piscine municipale.
Un changement de règlement réclamé par l’association Alliance citoyenne et qui aurait pu, comme cela s’est passé à Rennes en 2018, rester anecdotique. Mais la décision du maire écologiste Éric Piolle, largement médiatisée par ses soins, est devenue presque une affaire d’État et a mis le feu aux poudres de l’équipe municipale. Elle lui vaut, pendant plusieurs heures, un violent torrent d’invectives : « Zemmour de gauche », opportuniste accusé de se « servir de ce buzz national » pour ses « ambitions présidentielles », « partenaire de l’islam politique »...
Depuis deux semaines, les médias conservateurs s’en donnent à cœur joie pour dénoncer un maire au mieux « islamo-gauchiste », au pire « islamiste ». (...)
Le burkini a fait tanguer, y compris la majorité municipale rouge et vert de Grenoble, où les débats ont été houleux. (...)
L’adjointe chargée des sports, qui défend le nouveau règlement, tente de détendre l’atmosphère. Elle appelle à faire preuve de « tolérance » et à lutter contre les « discriminations », rappelle que les piscines répondent aux mêmes règles que celles ayant cours dans l’espace public – il n’est pas interdit d’y arborer des signes religieux.
Mais quelques instants plus tard, la députée LREM Émilie Chalas revient à la charge, vilipendant cette mesure « archaïque » qui insulte selon elle le droit des femmes (...)
Il est près de 21 heures, lundi, lorsque le conseil municipal adopte sur le fil la modification du règlement intérieur des piscines municipales, par 29 voix pour (avec celles des communistes), 27 contre (dont plusieurs voix LFI) et 2 abstentions.
Au-delà du burkini, « l’accès des piscines pour toutes et tous »
En fait, le disque rayé crache le même morceau depuis bientôt quatre ans. Depuis 2018 en effet, Grenoble est devenu par intermittence le centre d’attention des médias nationaux lorsqu’il s’agit d’évoquer le changement du règlement intérieur de ses piscines. Qu’importe si Éric Piolle a « le droit pour lui », comme l’a constaté L’Opinion, le préfet de l’Isère a déjà prévenu qu’il comptait, pour satisfaire la demande du ministre de l’intérieur, contester la délibération - en usant notamment des possibilités inédites offertes par la loi « séparatisme », avec le nouveau « référé laïcité ».
La parole des premières concernées, elle, s’est faite particulièrement rare dans la presse. (...)
Face à ce nouveau coup de projecteur soudain, elles rigolent, s’amusent de tous les qualificatifs entendus et se réjouissent à l’idée qu’enfin leur revendication soit prise en compte. Lorsqu’elles expliquent la genèse de leur combat, les mines se font toutefois plus graves. Elles évoquent « les moments d’humiliation à répétition » qui expliquent leur revendication. (...)
Après de nombreuses réunions avec des mères portant le voile, l’Alliance citoyenne décide de porter cette revendication et de solliciter la mairie de la ville. Elles mènent plusieurs actions non violentes en 2019 en investissant les piscines et en bafouant volontairement le règlement intérieur pour exiger de pouvoir nager intégralement couvertes. « La plupart des femmes présentes n’étaient pas militantes. C’étaient juste des femmes, des mères, qui voulaient pouvoir profiter de la piscine municipale, qu’elles paient via l’impôt », explique Anissa. (...)
Si Éric Piolle s’est montré déterminé à modifier le règlement intérieur, sa position a largement varié. Interrogé sur France Inter en 2021, l’édile s’en prenait même aux militantes d’Alliance citoyenne après leur action de désobéissance civile. (...)
Le collectif décide alors de privilégier le dialogue, s’entoure « d’alliées » comme le collectif « NousToutes 38 » ou le planning familial et utilise une opportunité mise en place par la ville pour relancer la question. (...)
C’est à l’occasion de ces rendez-vous qu’elles ont pu détailler leur requête et rassurer l’équipe municipale. « Partout, on dit qu’on souhaite instaurer le port du burkini à la piscine, mais ce n’est pas ça dont il s’agit », insiste Yasmina, 34 ans.
En effet, la pétition en question est plus large et souhaite demander « l’accès aux piscines pour toustes » et n’évoque jamais précisément la question du burkini. « Le règlement actuel exclut toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans le port d’un maillot de bain dit “féminin et traditionnel” », déplorait l’association qui souhaitait simplement « la suppression des notions de longueur de maillot de bain dans les règlements des piscines municipales ». (...)
Pour appuyer sa revendication, le collectif rappelle que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) précise dans deux rapports que « la longueur des maillots n’a aucune incidence sur la qualité de l’eau ». S’agissant de la sécurité des baigneurs, l’association s’appuie sur l’expérience de la ville de Rennes, qui autorise les maillots intégralement couvrant depuis 2018, sans polémiques ni difficultés. (...)
Enfin, l’Alliance citoyenne a mis en avant la position du Défenseur des droits qui avait expliqué en 2018 que le principe de laïcité doit permettre aux usagères des piscines de se baigner dans le maillot de leur choix. (...)