
Deux ouvrages, publiés à quelques mois d’intervalle par des journalistes, s’interrogent sur la réalité du miracle économique indien.
Katherine Boo (1), célèbre pour ses articles dans le Washington Post et le New Yorker, a choisi, pour son premier livre, de décrire la vie des habitants d’Annawadi, un bidonville qui jouxte l’aéroport international de Bombay et ses hôtels de luxe. Sur fond d’omniprésence de la corruption à tous les niveaux des institutions publiques, elle raconte leur misère, leurs rêves, leur travail, leurs divertissements, leurs querelles, et montre comment une infime amélioration de leur situation économique, souvent provisoire d’ailleurs, donne l’illusion de la mobilité sociale en regard de ceux qui sont encore plus démunis — et suscite des jalousies. (...)
Siddhartha Deb (2), journaliste et romancier indien, collaborateur notamment de la London Review of Books et du Times Literary Supplement, présente l’Inde des riches, « deuxième sur la liste des plus rapides fabricants de millionnaires » tandis que « 77 % de sa population vivait avec moins de 20 roupies, ou 50 centimes de dollar, en 2005 » : pour mieux rendre compte de la surexploitation des travailleurs migrants et du désespoir des paysans qu’appauvrissent la fin du soutien à l’agriculture, l’introduction des cultures génétiquement modifiées, voire la confiscation de leur terre au profit des entreprises nationales et multinationales, ce qui donne peut-être des clés pour comprendre la révolte maoïste affectant un tiers du territoire national (3)...
A l’autre bout, les heureux maîtres modernes de l’économie, les spécialistes des technologies de l’information. Ces « héritiers », qui appartiennent aux castes dominantes urbanisées, ont profité des prestigieux instituts nationaux de technologie et de management, largement subventionnés par l’Etat légué par Jawaharlal Nehru : ce que cette élite qui réclame « moins d’Etat » s’est empressée d’oublier. (...)
(1) Katherine Boo, Behind the Beautiful Forevers. Life, Death, and Hope in a Mumbai Undercity, Random House, New York, 2012, 288 pages, 27 dollars.
(2) Siddhartha Deb, The Beautiful and the Damned. A Portrait of the New India, Faber and Faber, New York, 2011, 272 pages, 15 dollars.