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Mediapart
Le mouvement anti-passe et antivax en effervescence sur les réseaux sociaux
Article mis en ligne le 4 septembre 2021

Les boucles et groupes sur les réseaux sociaux sont l’autre facette de la mobilisation anti-passe sanitaire et anti-vaccination contre le Covid. Difficilement lisibles encore, la conversation s’alimente aux diverses sources de la « réinformation » mais se nourrit aussi d’une profonde défiance institutionnelle, favorisée par l’horizontalité des outils numériques.

Descendu dans la rue mi-juillet, le mouvement anti-passe sanitaire est né sur les réseaux sociaux. Dans un mouvement circulaire, comptes Facebook, TikTok ou Twitter, boucles WhatsApp et Telegram s’évertuent à présent à lui offrir une vigoureuse caisse de résonance numérique. « C’est presque devenu une banalité de le dire : parce que chacun peut être son propre média et qu’il y a des émotions convergentes, les réseaux sociaux sont un instrument incontournable des mobilisations actuelles », rappelle Stéphane Sirot, historien des mouvements sociaux, qui s’efforce depuis le début de l’été d’aller voir sur le pavé ce que le mouvement anti-passe a à dire.

En ligne, une partie de ces échanges, sur les groupes WhatsApp, Telegram, Signal ou encore Discord, se déroulent à huis clos, ou dans le semi-secret des groupes privés sur Facebook, via les messageries internes de chacun de ces réseaux ou forums. « Les réseaux sociaux permettent de donner un cadre, de faire converger, de structurer l’organisation et de rendre en apparence homogène un mouvement qui l’est finalement assez peu », note ainsi Coralie Richaud, maîtresse de conférences en droit public à l’université de Limoges, spécialiste de l’usage des données numériques dans le domaine du droit.

La partie émergée de l’iceberg laisse apparaître quelques traits. Ainsi, sur le compte Telegram Anonyme Citoyen (proche des « gilets jaunes » mais qui se revendique « apartisan »), fort de 35 000 abonnés, les posts sur les mobilisations en France et à l’étranger fournissent un flot d’images continu, de l’action devant un supermarché dans le sud de la France, à un rassemblement devant le Parlement à Athènes ou une manifestation filmée depuis Vancouver, au Canada. (...)

Dans la boucle Telegram La Vérité censurée, présenté comme « un média alternatif indépendant, sans conflits d’intérêts », près de 45 000 personnes peuvent scroller indéfiniment pour nourrir leur sentiment anti-vaccin contre le Covid et de « résistance » aux pouvoirs de tous ordres. On peut y prendre des nouvelles de figures de la sphère covidosceptique et antivaccinale, écouter le témoignage de parents, pompiers, médecins affolés, des extraits vidéos de Franceréinfo sur la plateforme Rumble.com, comme de médias étrangers ou français tout à fait mainstream. (...)

Les groupes Facebook, toujours très populaires, peuvent être totalement hostiles au passe sanitaire mais veiller à la frontière avec les antivax, comme celui-ci, suivi par plus de 18 000 personnes, qui met ses membres en garde par ce message : « Attention aux “fake news” qui circulent beaucoup sur les réseaux sociaux, et parler de la vaccination et ses effets est un peu moins pertinent ici, il y a des groupes dédiés. » Sans vraiment y parvenir…

D’autres, comme le groupe La France en colère, né au moment des gilets jaunes, ne s’embarrassent pas de nuance, relayant des vidéos tous azimuts, le plus souvent hostiles au passe, au vaccin et à Macron. Ils ont leurs stars, comme l’avocat Fabrice Di Vizio ou le médecin marseillais Louis Fouché, notamment sur les groupes affiliés au site Réinfocovid, qui se présente comme un « contre-conseil scientifique » depuis le début de la crise sanitaire.

On pourrait migrer ainsi indéfiniment de compte en compte et de page en page, voir et revoir souvent les mêmes vidéos, remonter le rhizome et se perdre sans doute, tellement longues semblent ces ramifications.

Un travail de cartographie et d’analyse de tels groupes affinitaires avait été mené par certains chercheurs et chercheuses lors du mouvement des gilets jaunes, qui avait lui aussi une forte densité numérique. Ces mêmes chercheurs mettent en garde aujourd’hui : il serait hasardeux, moins de deux mois après le début du mouvement, d’en tirer des enseignements définitifs en termes de dynamique politique, de revendications, ou encore s’agissant de l’importance de ses têtes de ponts, souvent autoproclamées.

« Tous ces internautes présents sur les réseaux socionumériques sont des regardeurs actifs, mais qui ne vont pas forcement interagir, ou qui vont taire leurs opinions, souligne Stéphanie Lukasik, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, qui étudie la mécanique des infox et de la « réinformation ». On peut considérer ceci comme un aperçu, mais il ne faudrait pas calquer totalement ce qui s’y joue dans la vie réelle. »

Un « laboratoire » à prendre cependant « extrêmement au sérieux », ajoute Pascal Marchand, psychosociologue spécialiste de l’engagement militant, chercheur à Toulouse. Pour à la fois étudier la « diffusion des discours complotistes » mais aussi pour analyser les « revendications réelles sur la valeur d’un passe sanitaire en temps démocratique ». (...)

Au mois de juin, Nicolas Vanderbiest, spécialiste de l’analyse des réseaux sociaux et fondateur du cabinet de conseil en communication publique Saper Vedere, avait tenté de cartographier la « galaxie anti-vaccins » par l’analyse de 23 000 comptes Twitter, que l’instauration du passe-sanitaire a pu mobiliser encore davantage.

L’une des communautés la plus importantes, relève-t-il, était alors celle des « patriotes », au-delà du parti du même nom. « Ils ne s’affichaient pas ouvertement antivax, explique Nicolas Vanderbiest, se disant au service de la France, gaullistes et patriotes, pour la liberté des peuples. Il y a également chez beaucoup l’idée que Dieu a choisi un avenir pour nous contre lequel il ne faut pas aller. » Depuis, dans les cortèges et en ligne, l’influence de l’association catholique intégriste Civitas semble se confirmer.

La « galaxie gilets jaunes, globalement les anti-Emmanuel Macron et certains militants de La France insoumise », se distinguait déjà, poursuit Nicolas Vanderbiest. « Il peut y avoir, dans cette communauté, des gens qui n’auront pas un discours franchement anti-vaccin. Ils vont être contre le totalitarisme et estiment que le président est entré dans une logique dictatoriale. Ils vont afficher des slogans comme “La vigilance est le prix de la liberté”. »

Enfin, l’expert identifiait en juin une troisième communauté, « celle des sceptiques qui vont raisonner sur le mode “on ne sait rien, donc je ne sais rien, donc rien n’est vrai” », suivi d’un dernier tout petit regroupement, autour de la « stochocratie », des internautes qui réfléchissent à une nouvelle forme de démocratie, notamment par le tirage au sort des représentants.

« Le mouvement antivax est aujourd’hui beaucoup plus large et plus présent. Florian Philippot [à la tête du parti souverainiste des Patriotes – ndlr] par exemple n’apparaissait pas dans mon étude, relève Nicolas Vanderbiest. Ce qui montre que ça a été pour lui une opportunité politique. »

« On trouve dans ces groupes tous les courants politiques, toutes les visions du monde, surtout extrêmes, c’est un vrai melting pot, pas du tout homogène, constate de son côté Stéphanie Lukasik, qui travaille notamment sur la fabrique des leaders d’opinion sur les réseaux socionumériques et a étudié longuement le site d’extrême droite FdeSouche. (...)

Stéphanie Lukasik s’est également intéressée, au début de cette crise sanitaire, aux interactions de la page Facebook Didier Raoult officiel, dédiée au controversé directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. « On pouvait y trouver aussi des choses incongrues : des partisans de médecine naturelle, sur une page dédiée à un professeur de médecine, des anti-vaccins même avant la diffusion du documentaire Hold up, mais aussi des personnes qui ont starifié Didier Raoult, transformé en icône… Certains avaient aussi des intérêts en commun qui étaient la religion et la politique. Tout ceci était assez particulier, sur une page initialement consacrée à de l’information sur le Covid... »

Après avoir identifié la manière dont les usagers du numérique partageaient les informations fournies par de gros comptes de médias « traditionnels », la chercheuse tire une analyse quant à la diffusion et la circulation de l’information. « Ce qui a le plus d’impact ce sont les posts des internautes mis bout à bout, les petits groupes, pas les gros. La manière dont ces usagers coupent, enrobent de commentaires ces informations va créer de la viralité, juge Stéphanie Lukasik. On voit alors se former des leaders de conjoncture, éphémères. Et plus l’info va être découpée, plus la confusion va s’installer. » (...)

Et si une telle mobilisation « prend » sur les réseaux sociaux, c’est qu’ils sont calibrés pour, souligne Coralie Richaud, qui rappelle l’un des principes fondateurs du « cyberespace », celui de créer un lieu de contestation de premier plan, régi par son propre contrat social. (...)

Stéphanie Lukasik s’est également intéressée, au début de cette crise sanitaire, aux interactions de la page Facebook Didier Raoult officiel, dédiée au controversé directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. « On pouvait y trouver aussi des choses incongrues : des partisans de médecine naturelle, sur une page dédiée à un professeur de médecine, des anti-vaccins même avant la diffusion du documentaire Hold up, mais aussi des personnes qui ont starifié Didier Raoult, transformé en icône… Certains avaient aussi des intérêts en commun qui étaient la religion et la politique. Tout ceci était assez particulier, sur une page initialement consacrée à de l’information sur le Covid... »

Après avoir identifié la manière dont les usagers du numérique partageaient les informations fournies par de gros comptes de médias « traditionnels », la chercheuse tire une analyse quant à la diffusion et la circulation de l’information. « Ce qui a le plus d’impact ce sont les posts des internautes mis bout à bout, les petits groupes, pas les gros. La manière dont ces usagers coupent, enrobent de commentaires ces informations va créer de la viralité, juge Stéphanie Lukasik. On voit alors se former des leaders de conjoncture, éphémères. Et plus l’info va être découpée, plus la confusion va s’installer. » (...)

Et si une telle mobilisation « prend » sur les réseaux sociaux, c’est qu’ils sont calibrés pour, souligne Coralie Richaud, qui rappelle l’un des principes fondateurs du « cyberespace », celui de créer un lieu de contestation de premier plan, régi par son propre contrat social. (...)

Une telle contestation traduit, et c’est peut-être ce qui la relie le plus aux gilets jaunes, « une crise de la représentation, déjà ancienne, mais profonde », confirme Coralie Richaud. Devant, et au-delà l’écran ?