
De plus en plus d’orques tapent les bateaux de l’Atlantique, sans que l’on sache pourquoi. La panique a gagné le milieu marin, faisant craindre aux scientifiques une hausse des violences à l’égard de ces animaux menacés.
(...) « Vers 11 heures, je suis descendu dans ma cabine. Et là, bam, j’ai entendu un énorme bruit à l’arrière, se souvient Augustin Drion, 29 ans. J’ai passé une tête, et j’ai vu cinq ou six orques, arrivées de nulle part. » La bande de cétacés a passé près d’une heure à « secouer » le bateau, raconte-t-il. « On s’est dit qu’elles allaient finir par se lasser et partir. Mais plus ça allait, plus on entendait la coque craquer. » En tentant de passer un appel de détresse, le jeune homme a aperçu une voie d’eau dans le fond de sa cabine. Dix minutes plus tard, il pataugeait entre les banquettes trempées. Le voilier a fini par sombrer, sous le regard dépité de l’équipage secouru par un navire suédois. (...)
Un comportement totalement inédit
Depuis le mois de juillet 2020, 239 « interactions » de ce type ont été recensées au large des côtes ibériques et françaises. La dernière a eu lieu il y a quelques jours à peine, le 25 novembre. Le déroulé de ces rencontres interespèces se ressemble : un petit groupe d’orques s’approche d’un bateau – généralement d’un voilier –, le chahute en donnant des coups de tête contre son gouvernail, puis s’éclipse entre les vagues. Ce comportement mystérieux, totalement inédit, stupéfie les spécialistes : « Quand on l’a vu apparaître, c’était une surprise, confie Paul Tixier, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Ce sont des animaux assez conservateurs, qui vivent très longtemps et se reproduisent à une fréquence assez faible. Prendre des risques n’a pas de sens, pour eux, d’un point de vue évolutif. » (...)
Ces agissements inquiètent d’autant plus qu’ils semblent se propager au sein de la population d’orques gravitant autour du détroit de Gibraltar, estimée, dans un article scientifique de 2021, à une petite quarantaine d’individus. « Au départ, ils étaient trois à interagir avec les bateaux. Aujourd’hui, ils sont une quinzaine, et leur nombre augmente encore », détaille Christophe Guinet, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’animal.
Selon les chiffres du Groupe de travail sur les orques de l’Atlantique, ces interactions ont endommagé les navires dans environ 50 % des cas, contraignant parfois les marins à remettre pied à terre pour de coûteuses réparations. Les naufrages restent cependant extrêmement rares. (...)
Les cétacés impliqués ne s’en prennent par ailleurs qu’aux bateaux, insiste la biologiste marine Paula Méndez Fernandez : « Aucune orque n’a jamais tué d’humain en milieu sauvage. » (...)
La panique n’en a pas moins gagné le littoral atlantique. De Lisbonne au petit port de plaisance de Locmiquélic, dans le Morbihan, les murs des capitaineries ont été tapissés de posters détaillant la conduite à tenir en cas de rencontre avec une orque. Leur comportement énigmatique est au cœur des discussions entre navigateurs, apeurés à l’idée de voir sombrer leurs précieux navires sous les coups de boutoir du cétacé. Sur les pontons, les hypothèses fusent : les orques essaieraient-elles de nous faire passer un message ? De récupérer leur territoire, en proie à la surpêche et à la pollution sonore ? Tentent-elles se venger des voiliers à la suite d’une collision qui aurait tué l’un des leurs ? (...)
« Ce serait beau, une révolte des espèces non-humaines, quand on voit à quelle vitesse on les dégomme sans aucun remords. Mais je n’y crois pas trop », souffle le professeur en bioacoustique et spécialiste des cétacés Olivier Adam. (...)
Des comportements « non-adaptatifs » similaires – c’est-à-dire sans bénéfices évolutifs ou énergétiques – ont par ailleurs déjà été observés au sein d’une communauté d’orques du nord-ouest du Pacifique. « Une année, un individu s’est mis à nager à la surface de l’eau avec le saumon qu’il avait capturé sur la tête, comme un chapeau, raconte Christophe Guinet. Ce comportement s’est ensuite propagé, et la plupart des individus faisaient ça avant de consommer leurs saumons. Il a fini par disparaître du jour au lendemain. » (...)
Du point de vue des navigateurs, l’attitude inédite des orques est cependant rarement perçue comme ludique. La crainte de certains s’est muée, ces dernières semaines, en franche hostilité. (...)
« On a des témoignages de gens qui ont balancé de l’essence dans la mer, ou qui ont essayé de donner des coups aux orques avec des gaffes, regrette Paula Méndez Fernandez. Certains ont même mis des pics pointus dans leur gouvernail. » Ces agissements pourraient avoir des conséquences catastrophiques sur la population du détroit de Gibraltar, déjà classée « en danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature. (...)
Paul Tixier, de l’IRD, se dit également inquiet. Le chercheur évoque l’exemple des orques des îles Crozet, dont la population s’est mystérieusement effondrée entre 1977 et 2011. Il suspecte les bateaux de pêche braconniers d’avoir utilisé des armes ou des explosifs pour éloigner les cétacés de leurs lignes. « Toute leur organisation sociale a été bouleversée par la perte de membres clés », raconte-t-il. Des phénomènes similaires sont à craindre sur les côtes européennes. « Les femelles se reproduisent une fois tous les cinq ans, et ont une ménopause. Si l’on enlève quelques individus, le taux de reproduction et de survie diminue fortement. »
L’urgence, selon le scientifique, est d’améliorer les connaissances sur la distribution spatiale et temporelle des orques concernées afin d’éviter au maximum les interactions avec les voiliers, et ainsi apaiser les esprits. C’est également ce que prône le navigateur Augustin Drion (...)
Paul Tixier, de l’IRD, se dit également inquiet. Le chercheur évoque l’exemple des orques des îles Crozet, dont la population s’est mystérieusement effondrée entre 1977 et 2011. Il suspecte les bateaux de pêche braconniers d’avoir utilisé des armes ou des explosifs pour éloigner les cétacés de leurs lignes. « Toute leur organisation sociale a été bouleversée par la perte de membres clés », raconte-t-il. Des phénomènes similaires sont à craindre sur les côtes européennes. « Les femelles se reproduisent une fois tous les cinq ans, et ont une ménopause. Si l’on enlève quelques individus, le taux de reproduction et de survie diminue fortement. »
L’urgence, selon le scientifique, est d’améliorer les connaissances sur la distribution spatiale et temporelle des orques concernées afin d’éviter au maximum les interactions avec les voiliers, et ainsi apaiser les esprits. C’est également ce que prône le navigateur Augustin Drion (...)
« Il faudrait aussi que l’on accepte que les orques sont à leur place, suggère Paula Méndez Fernandez. Si l’on ne trouve pas de solution, il faudra accepter que l’on ne puisse pas naviguer à certains moments dans une zone donnée, par sécurité. On ne peut pas déplacer une espèce pour notre loisir. » « Ceux qui détruisent les océans de manière massive, ce sont les humains, rappelle Olivier Adam. Il faut garder cela en tête, plutôt que de pointer les orques du doigt. » Ces créatures marines, poursuit-il, sont sans doute les dernières avec qui nous pourrons interagir. Il y a peut-être là de quoi « s’émerveiller ».
Les orques, stupéfiantes bêtes d’apprentissage
Les orques sont dotées de grandes capacités d’innovation et d’apprentissage. « On le voit dans leurs techniques de chasse, note Olivier Adam. (...)