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« Le rapprochement rouge vert est une nécessité »
Journaliste engagé, et le revendiquant, François Ruffin est rédacteur en chef de Fakir et réalisateur de Merci Patron.
Article mis en ligne le 18 mars 2016
dernière modification le 14 mars 2016

Rien ne changera si les classes populaires et les classes intermédiaires ne refont pas union, estime François Ruffin, pour qui l’instrument de cette alliance passe par l’écologie et la justice sociale.

(...) Avec le Front de Gauche, on avait un lieu, imparfait, mais où on pouvait travailler les idées, autour de l’écosocialisme ou du protectionnisme notamment. Cela constituait une force politique qui pouvait recueillir une forme de colère sociale et cela, c’était vachement intéressant.

Mais désormais, il y a une sorte de suicide du Front de Gauche. Et on en est à espérer un réveil de la société civile sans parti. Mais à un moment, il faut trouver une traduction politique au mouvement social, que la colère sociale trouve un mode d’expression politique. En Picardie, où je vis, les élections régionales ont signé la faillite des partis de gauche, avec les Verts, le PG, le PC, qui sont incapables de s’unir, alors que Marie Le Pen a près de 43 %. (...)

Cela veut-il dire qu’aujourd’hui le FN récolte les votes de cette colère sociale ?
J’en suis convaincu depuis des années. Je n’ai jamais été dans le discours du « Le premier vote, c’est l’abstention », qui revient à négliger ou minimiser le vote Front National, en particulier dans les classes populaires. Le sondage de l’Ifop aux élections de décembre indique que 51 % des ouvriers qui ont été aux urnes ont voté le Front National.

Quand nous, au journal Fakir, on se prétend populiste, on ne peut pas passer à côté de ça. (...)

Populiste, c’est-à-dire ?

La définition du dictionnaire Robert dit : « Mouvement littéraire s’appliquant à décrire de façon réaliste la vie des gens du peuple ». Et les journalistes, au lieu d’utiliser le mot populisme comme une injure, devraient être fiers d’être populistes, en disant qu’une de nos fonctions est de refléter avec réalisme la vie des gens du peuple. Si je ne fais pas l’effort, chaque fois que c’est possible, d’aller vers les classes populaires, qui travaillent dans les supermarchés, dans les centres logistiques, dans les zones industrielles, je vais refléter la conception de ma classe, qui est la petite bourgeoisie intellectuelle.

L’échec de la gauche tient-il à ce qu’elle n’est plus populiste ?

On observe ce que Emmanuel Todd appelle « le divorce de deux corps sociologiques de la gauche », ce que j’appelle une « disjonction de classes ». Depuis 30 ou 40 ans, les ouvriers et les professeurs, les classes populaires et la petite bourgeoisie intellectuelle ont eu des destins qui se sont séparés. (...)

Comment opérer la « re-jonction » ?

Les professions intermédiaires ne vont plus être aussi épargnés par la mondialisation. Et je pense qu’il faut travailler sur le terrain culturel, en disant aux classes intermédiaires, « Voilà ce que l’oligarchie a fait ». Lénine disait : « Une situation pré révolutionnaire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas ». Ce que je souhaiterais maintenant, c’est l’émergence d’un mouvement populiste de gauche. (...)

Qu’appelles-tu la gauche ?

Celles et ceux qui placent la notion d’égalité comme une valeur centrale. Aujourd’hui, il y a un mouvement populiste de droite, qui fonctionne très bien. Il faut ouvrir la voie à un mouvement populiste de gauche. Ce qui se passe avec la loi sur le travail va-t-il provoquer une poussée et faire émerger une nouvelle figure ? Cela bouge partout, de Podemos en Espagne à Siriza en Grèce, au parti travailliste en Angleterre ou aux Etats-Unis avec l’émergence de Bernie Sanders. On est revenu à un espèce de no man’s land. Il y a des trucs qui germent.

Comment faire ?

Je me demande juste où est le déclic. Aujourd’hui, je cherche moins l’horizon que comment on met le moteur en marche. (...)

En gros, la petite bourgeoisie est plus attachée à la question écologique et la classe populaire est plus attachée à la question sociale. Il faut trouver les moyens de lier les deux. (...)

Quand on voit le mal que fait un gouvernement de gauche au mot « gauche », les écologistes de parti ont fait le même mal au mot « écologie ». (...)

C’est par la buvette au stade de football que se fait la politique. Je joue au foot tous les dimanches, et les vestiaires, c’est un lieu où on prend une température du pays. Il n’y en a pas tant que çà, des moments où on peut prendre une espèce de pouls du peuple. Et il y a des moments où tu peux faire passer des trucs. Il faut reprendre racine. Quant aux médias, on est condamné à les avoir contre nous, on peut les dénoncer mais il faut faire avec. (...)

Les minorités agissantes peuvent beaucoup. Mais à condition de trouver le chemin des masses, du peuple, tu appelles ça comme tu veux. Si c’est une locomotive seule qui ne tire aucun wagon, ce n’est pas intéressant ; il faut trouver le moyen de raccrocher les wagons. Des minorités agissantes, il y en a plein : des groupes sur la COP 21, sur la financiarisation, ATTAC qui vole des chaises, la brigade d’activisme des clowns, etc. Mais il ne faut pas oublier les syndicats et les partis. Il faut même commencer par là. C’est très sympa, les clowns. Mais malgré toutes les imperfections de la CGT et de Force Ouvrière, il faut s’appuyer sur ces forces. (...)

Vous imaginez un grand plan de licenciement des journalistes français pour les remplacer par des journalistes roumains ? En un mois, il y aurait des lois votées à l’Assemblée nationale contre cela ! Eh bien, cela fait quarante ans que la même chose se produit pour les ouvriers et il n’y a pas eu un seul débat sur ce sujet à l’Assemblée. Je ne peux pas aborder la question des migrants si, dans un premier temps, on ne me donne pas cette arme de la frontière. Tant que tu n’as pas répondu à cette question, tu ne combats pas le Front national. La frontière est un moyen pour pouvoir dire ce qu’on veut faire de notre industrie. Tant que tes frontières sont ouvertes, tu ne peux pas avoir de politique industrielle. Même sur le plan environnemental : toute mesure environnementale progressiste, même sur le terrain de l’agriculture, est traduite en problème pour la compétitivité. Et c’est vrai, que si on met en place des mesures environnementales, fiscales et sociales, c’est à chaque fois un boulet pour la compétitivité du pays. Comment on résout ça ? Soit on continue comme aujourd’hui, on s’adapte, on modernise, et on fait du dumping social, fiscal, environnemental. Soit on décide que ce n’est pas possible en économie ouverte et que dans ce cadre-là, il faut des instruments de régulation commerciale.

L’union entre la classe ouvrière et les écologistes passe-t-elle par l’idée du protectionnisme écologique ?

En effet, il faut dire qu’il faut de la régulation environnementale, sociale et fiscale, et l’un des instruments de la régulation, c’est la frontière.