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Le monde
Le retour de la mère parfaite
Article mis en ligne le 22 août 2016
dernière modification le 12 août 2016

On la croyait disparue, la femme en robe pastel et aux cheveux figés qui, en attendant le retour de son mari et de ses enfants, préparait des gâteaux dans une cuisine immaculée. Délivrée de sa souveraineté domestique – astiquer, repasser, aspirer, cuisiner et sourire ; reléguée dans les archives sexistes des publicitaires. On croyait la parfaite ménagère des années 1960 définitivement enterrée.

Mais la voilà ressuscitée sur les réseaux sociaux. Désormais active, sportive et libérée du patriarcat, l’icône s’est modernisée. Quand elle n’est pas en voyage, en réunion ou au yoga, elle trône, gracieuse et souriante, dans un intérieur où la vaisselle est délicate, les fleurs fraîches, les tapis berbères, les canapés scandinaves et les brioches home made. Mais surtout, plus que tout, elle est heureuse d’être « maman ». Elle est #happy, elle est #comblée, elle est #épanouie, et elle le clame avec force hashtags et photos sur Instagram. Plus ses clichés sont beaux, plus ils sont likés. (...)

Des milliers de groupes Facebook, de comptes Instagram et de blogs constituent ce club de plus en plus populaire de supermamans. Même les photos d’enfants de people, autrefois protégés des regards du public, sont désormais en libre-service sur les comptes Instagram de leurs parents. Après les pionnières Angelina Jolie et Victoria Beckham, ce sont Blake Lively, Jessica Alba, Natalia Vodianova, Hilary Duff… qui se définissent avant tout comme des « mamans heureuses » et semblent, elles aussi, baigner dans l’euphorie et la béatitude.
Le père, absent du tableau

Figure discrète, le père participe à peine à cette célébration bruyante de la dévotion des femmes à leur famille. Rarement présent sur les clichés du quotidien, royaume de la mère, il réapparaît pour l’« exceptionnel » : repas de famille, vacances, week-end, anniversaires. Une image du père cadenassé dans ses fonctions traditionnelles, au mieux incompétent, au pire absent, bien loin des modèles vantés à longueur de pages dans les magazines. Et lorsqu’il surgit sur les photos, on le découvre apprêté, savamment décoiffé, jamais négligé, et aussi méticuleusement habillé que ses enfants (...)

Comme si désormais, pour réussir sa vie, il convenait aussi d’afficher son épanouissement personnel et celui de ses enfants. Et peu importe si cela passe par des heures à enfiler des chemises en lin à son bébé, ou à recoiffer sa petite dernière tout en faisant disparaître les bavoirs de la cuisine. « On va finir par suspecter que, quand on ne poste pas de photos de son nouveau-né, c’est parce qu’il est moche », plaisante à peine Thierry Harvey.

Le chef de service de la maternité des Diaconesses, à Paris, a d’abord vu les smartphones envahir les salles d’accouchement puis, progressivement, la vie privée de ses patientes basculer dans le challenge permanent.

« Avant, quand elles rentraient chez elles, elles se reposaient. Maintenant, même chez elles, avec les tablettes et les smartphones, elles sont dans le paraître social. Elles s’imposent des contraintes et elles s’épuisent. »

Gare au burn-out

Car, à ce petit jeu de l’exhibition de son bonheur, ce n’est ni le plus heureux ni le plus épanoui qui gagne, mais celui qui mime le mieux le bonheur. (...)

Les débuts de la blogosphère mamans promettaient pourtant de libérer les femmes de l’imperium de l’enfant. « Les premiers blogs étaient rédigés sur le ton de l’humour, on riait de nos problèmes, se souvient Isabelle Cantarero, qui a ouvert Mon blog de maman en 2005. On était dans le concret. C’était la vague des mères indignes », celles qui laissaient leur petit devant la télé pour grappiller quelques heures de sommeil. Mais, peu à peu, la place accordée à l’enfant est devenue centrale. Réveils câlins, balades dans les bois, premiers pas, goûters d’anniversaire à l’architecture sophistiquée ; c’est à qui vivra le plus merveilleux des #familytime. (...)

« Beaucoup de mères me parlent de cette pression permanente », confirme le psychanalyste Gérard Bonnet. Auteur de L’Angoisse (In Press, 2015), il constate une préoccupation grandissante chez les jeunes parents, notamment chez les femmes, prisonnières de l’injonction de perfection véhiculée par les images collectives. « Le bonheur affiché est une espèce de prothèse qui permet de bien marcher devant tout le monde, poursuit-il. Pour beaucoup de mamans, qui ont des fragilités personnelles, l’enfant est celui qui redore le blason, qui leur donne une image positive aux yeux des autres. Il faut que mon enfant soit merveilleux pour que je le sois. » En somme, des supermamans plutôt #vulnérables que #épanouies.
La riposte des mères « normales »

En réaction au bonheur maternel étalé sur les réseaux sociaux, de nombreuses campagnes imaginées par des mères de famille ont incité les instagrammeuses à poster des photos de leurs « vraies vies ». (...)