
Dans le Monde Éco&entreprise daté du 11 octobre 2014, Yves Zoberman propose un « Plaidoyer pour un revenu d’existence européen ! » Impossible de lui contester la réalité de la crise qui plombe le social, l’économie, l’écologie et par dessus tout, pourrait-on ajouter, la démocratie. Mais les arguments en faveur de cette proposition afin de sortir de cette situation sont tous très contestables, voire carrément faux.
Nos sociétés connaissent, nous dit-il, la fin de la rareté. Le monde regorge certes de marchandises (une immense accumulation, disait déjà Marx), mais la base matérielle de leur production est en train de s’amenuiser à grands pas, ainsi en est-il des combustibles fossiles, des métaux rares, et de quelques autres ressources. La croissance économique éternelle n’est pas possible.
Il faudrait, poursuit-il, séparer emploi et revenu. Mais, quelle que soit la forme juridique de l’emploi (salarié ou non), tout revenu vient du travail. Et on reste ébahi devant la formule : « on peut produire les richesses hors de la sphère de la production ». Quel sens cela a-t-il de produire hors de la production ? Aucun. Mais la formule permet de préparer la mesure choc : financer le revenu d’existence par une taxe sur les transactions financières. Or celle-ci, encore dans les limbes, a pour but essentiel sinon unique de casser la spéculation, de freiner la circulation des capitaux, donc de tarir sa base même, son assiette. Les auteurs des propositions de financer tel ou tel aspect de la protection sociale par une fiscalité assise sur les transactions financières oublient, à supposer qu’ils l’aient jamais su, que seul le travail peut engendrer des revenus pérennes sur le plan global, c’est-à-dire macroéconomique. (...)
Une société solidaire et une économie douce ne peuvent être envisagées sans que les rapports sociaux imposés par le capitalisme le plus violent que le monde ait connu ne soient questionnés et bouleversés. Il est à craindre que, sous couvert d’un principe parfaitement justifié – tout le monde a droit à un revenu décent –, la proposition du revenu d’existence fasse l’impasse sur un débat philosophique fondamental : loin des illusions sur sa fin prochaine et, corrélativement, sur la fécondité de la finance, le travail est une réalité humaine ambivalente, sans doute irrémédiablement : contraignant et aliénant d’un côté, et source d’intégration et de reconnaissance sociales de l’autre. D’où l’importance de la validation collective de toutes les activités utiles. Cette condition, dans une société réellement démocratique, ne serait pas une contrainte mais une source d’enrichissement dans un autre sens qu’économique.