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Le revenu de base : Universellement applicable ?
Article mis en ligne le 1er avril 2017
dernière modification le 29 mars 2017

Un revenu de base pour tous, sans conditions, tout au long de la vie. L’idée est belle ou, en tout cas, mérite d’être débattue. Le monde actuel, et en particulier l’économie, pose en effet de nombreux défis qui nécessitent de sortir des cadres de pensée et d’action traditionnels. Mais si le débat sur le revenu de base reflète certaines préoccupations de nos économies développées, qu’en est-il de sa pertinence pour les pays en développement ?

Les années 2000 ont ramené la question de la protection sociale dans l’agenda international. En 2012, l’OIT émettait la recommandation 202 pour la mise en oeuvre de « socles de protection sociale » dans les pays ne bénéficiant pas encore de systèmes de protection sociale. Selon une étude réalisée en 2008 par le BIT, la mise en oeuvre de ces socles ne coûterait que 6 % du PIB mondial |1|. Le revenu de base serait-il une option crédible pour atteindre ces socles de protection sociale ?

Programmes de transferts monétaires

Depuis une dizaine d’années, les expériences de transferts monétaires se sont multipliées dans les pays du Sud. Face à la prépondérance de l’économie informelle dans ces pays, ces programmes de protection sociale minimale permettent d’assurer un revenu minimum pour les personnes ne bénéficiant pas d’un emploi salarié et donc d’assurances sociales. À noter donc que, s’ils sont positifs, ces programmes ne le sont donc que par défaut d’une politique de création d’emplois décents. (...)

Parfois inconditionnels, parfois conditionnels, parfois ciblés et parfois universels, les programmes de transfert monétaire ne peuvent donc pas réellement être considérés comme des revenus de base, par nature inconditionnels et universels. Le programme brésilien Bolsa Familia est l’exemple le plus connu de ces transferts. (...)

Une expérience de revenu de base inconditionnel a, par ailleurs, été menée en Inde dans le village de Panthbadodiya, dans l’État central du Madhya Pradesh |2|. Malgré les craintes exprimées par certains sur le fait que l’argent n’allait servir qu’à acheter alcool et bijoux, l’expérience a prouvé le contraire. (...)

Selon Guy Standing, l’économiste qui a mené l’étude, professeur d’études du développement à la School of Oriental and African Studies (SOAS) et cofondateur du Réseau mondial pour le revenu de base (Basic Income Earth Network, BIEN), le projet mené à Panthbadodiya est enthousiasmant parce qu’il montre qu’un revenu de base peut servir à recréer les bases d’un système de sécurité sociale dans un pays caractérisé par un secteur informel majoritaire et de fortes inégalités.

Avec ou sans conditions, quel est le meilleur choix ?

Mais alors, quel type de programme devrait être favorisé : les transferts monétaires conditionnels ou inconditionnels ? On peut également tourner la question autrement : est-ce que ce sont les conditionnalités ou l’apport d’un revenu régulier lui-même qui amènent des changements sociétaux positifs ? Une étude canadienne |3| s’est penchée sur la question et a pu établir que les transferts monétaires conditionnels donnaient de bons résultats sur les objectifs visés par la condition, mais avaient des effets plus limités sur d’autres retombées désirées. Ils laissent en outre de côté toutes les familles qui ne souhaitent ou ne parviennent pas à satisfaire aux conditions. Les transferts monétaires inconditionnels - incluant néanmoins une condition de ressources - donnent quant à eux davantage de retombées positives tout en laissant le choix aux familles. Selon l’étude, ces résultats sont dus aux interactions sociales qui poussent les choix individuels dans le bon sens. (...)

Réduction des inégalités

Les programmes de transferts monétaires développés ces dernières années dans les pays en développement ont pu donner des résultats en termes de réduction de l’extrême pauvreté, mais leur effet sur la réduction des inégalités est beaucoup plus mitigé. (...)

Or comme le souligne une étude publiée par Oxfam en avril 2014 |8| , la persistance de fortes inégalités ralentit la lutte contre la pauvreté. Pour réduire les inégalités, l’ONG insiste sur l’importance de la redistribution des richesses à deux niveaux : celui du prélèvement, via un impôt et des taxes progressifs en fonction du niveau de richesses, et celui des dépenses, via l’investissement dans des services publics de qualité.

Pour être réellement pertinents, les programmes de transferts monétaires doivent en effet s’accompagner du maintien ou de l’investissement dans les services publics. (...)

Mais les programmes de transferts monétaires peuvent même s’avérer déstructurants lorsqu’ils s’accompagnent d’une marchandisation des services de base d’éducation et de santé, comme c’est le cas en Afrique du Sud. (...)

Par ailleurs, afin que des systèmes de protection sociale, quels qu’ils soient, puissent être redistributifs, leur financement doit s’appuyer sur une fiscalité juste et progressive. Or on assiste la plupart du temps à l’évolution inverse dans les pays en développement qui préfèrent miser sur une fiscalité indirecte, donc régressive, comme l’augmentation de la TVA, où les exemptions fiscales à l’égard des entreprises sont la norme et où l’évasion fiscale est une pratique généralisée.

Les défis du secteur informel

Une des particularités des propositions de revenu de base au Nord est qu’elles sont découplées du travail et donc basées sur un financement de type non contributif. Certains y voient un recul du principe de solidarité salariale. (...)

En définitive, que peut-on répondre à la question de l’universalisation du revenu de base ?

Tout d’abord, outre les débats qu’il suscite chez nous, il semble évident que le revenu de base tel qu’il est défendu aujourd’hui par certains dans les pays du Nord n’est pas finançable à court terme pour l’ensemble de la population dans les pays du Sud. Mais le constat sera sans doute le même si on envisage le financement d’une protection sociale identique à la nôtre. Si les moyens financiers dans les pays en développement sont plus réduits, leurs marges de manoeuvre politiques le sont encore plus. Les préoccupations sont également différentes. La mise en place d’un revenu de base n’est pas comme au Nord motivée par une possibilité de réduction du temps de travail. Les préoccupations se portent davantage sur la prévention et la réduction de l’extrême pauvreté et la lutte contre les inégalités.

Dans ce contexte, de nombreux pays du Sud ont mis en place des programmes qui se rapprochent d’un revenu de base mais qui demeurent néanmoins basés sur des conditions de ressources. Certains s’accompagnent en outre de conditions de comportement qui peuvent porter leurs fruits en termes d’encouragement des comportements prônés. Néanmoins, les améliorations relevées en termes de sécurité alimentaire, de santé et de niveau de scolarisation semblent davantage dues au versement régulier d’une rente qu’aux conditions qui l’accompagnent. Des transferts monétaires inconditionnels peuvent donc apparaître comme plus respectueux des droits et libertés individuels. Enfin, conditionnels ou non, les programmes de transferts monétaires ont pu amener certains résultats en termes de réduction de l’extrême pauvreté et cela notamment parce qu’ils atteignent également les travailleurs du secteur informel, majoritaires dans les pays en développement. Par contre, seuls, ils échouent à appréhender le problème des inégalités. Ils doivent donc être menés parallèlement à des politiques qui visent à formaliser l’emploi et à créer des emplois décents ainsi qu’à mener une fiscalité juste et redistributive.

En conclusion, un revenu de base peut contribuer à l’établissement de socles de protection sociale dans les pays du Sud, mais uniquement à plusieurs conditions : cibler en premier lieu les populations qui en ont le plus besoin (tout en visant à terme l’universalité) ; considérer les populations ciblées comme des ayants droit et non des bénéficiaires ; encadrer le mécanisme par les mouvements sociaux et être couplé à des services publics de qualité en matière de santé et d’éducation, ainsi qu’à la création d’emplois décents dans les secteurs agricole et industriel ; enfin, être basé sur une fiscalité progressive et équitable.