
Dans un livre publié en septembre dernier, le fondateur de Wikileaks décrit en profondeur le rôle diplomatique joué très discrètement mais efficacement par Google, en particulier dans les pays arabes. Pour Julian Assange, Google est devenu une officine au service des intérêts américains, notamment grâce à sa filiale Google Ideas dirigée par Jared Cohen.
Elle accomplirait une version modernisée du soutien qu’apportait la CIA aux dictateurs d’Amérique du Sud pendant la guerre froide. Il ne s’agit plus aujourd’hui de soutenir les régimes autoritaires contre les tentations communistes du peuple, mais de soutenir les rebelles contre les régimes autoritaires islamiques du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Déguisé sous des traits humanitaires, l’objectif fondamental reste toutefois le même : défendre le libéralisme économique et les intérêts stratégiques américains.
Le libéralisme économique étant perçu comme une résultante des droits de l’Homme, il suffirait de défendre la liberté d’expression, de faciliter la communication entre les hommes et de mettre en valeur toutes formes de libertés individuelles pour que le libéralisme économique s’impose de lui-même. A cet égard, Internet est une aubaine. On sait que l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) a ainsi financé un clone de Twitter à Cuba, ou tenté d’imposer des réseaux sociaux en Afghanistan, au Kenya ou au Pakistan. (...)
Google a fondé Google Ideas, une structure méconnue dont l’agenda est exclusivement politique. Il s’agit de voir "comment la technologie peut permettre aux gens de faire face à des menaces en étant confrontés au conflit, à l’instabilité et la répression". L’organisation est dirigée par Jared Cohen, un ancien conseiller diplomatique de Condoleeza Rice et d’Hillary Clinton au ministère des affaires étrangères du gouvernement américain.
Selon sa fiche Wikipedia, Jared Cohen est un jeune spécialiste (33 ans) de l’anti-terrorisme, de la "contre-radicalisation", du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, des libertés sur Internet, et de "l’encouragement à l’opposition dans les pays répressifs". Il fut considéré l’an dernier par TIME comme l’une des 100 personnalités les plus influentes, tandis que le New Yorker lui avait consacré dès 2007 un portrait élogieux, qui rappelle qu’il s’était rendu en Iran pour aider l’opposition dès ses jeunes années d’étudiant.
L’activité de Cohen au sein de Google Ideas lui a valu jusqu’aux inimités de Stratfor, l’officine privée très influente et proche du pouvoir dont les e-mails avaient fuité en 2011 sur Wikileaks, valant au pirate-informateur pas moins de 10 ans de prison. Ils voyaient l’activité diplomatique de Google comme une forme de concurrence. (...)
Dans son livre, Julian Assange décrit par ailleurs toute une galaxie de fondations et associations qui sont directement ou indirectement liées à Google Ideas et à la diplomatie américaine, fondées ou rejointes par Jared Cohen. Parmi elles figurent Movements.org, créé par Cohen, qui a fusionné avec Advancing Human Rights. Or ce choix n’est pas neutre. AHR a été fondé par Robert Bernstein, qui a démissionné en 2010 de la prestigieuse association Human Rights Watch qu’il avait pourtant fondée. Il reprochait à HRW d’avoir été trop critique contre les violations des droits de l’homme par Israël. Par opposition, Advancing Human Rights ne s’intéresse donc qu’aux "sociétés fermées", fermant les yeux sur des régimes critiquables aux apparences plus démocratiques. (...)
De là à dire que Google Ideas protège aussi les intérêts israéliens en aidant à déstabiliser les puissances arabes voisines, il n’y a qu’un pas que Julian Assange prend garde de ne pas franchir. Il met toutefois en garde contre le pouvoir d’influence politique de Google, qui joue aussi bien sur des faits de société que sur des enjeux beaucoup plus stratégiques. (...)
"Les aspirations géopolitiques de Google sont fermement mêlées dans celles de l’agenda des affaires étrangères de la plus grande superpuissance mondiale. A mesure que le monopole de Google sur la recherche et les services Internet s’accroît (...), son influence sur les choix et les comportements sur la totalité des être humains se traduit en un véritable pouvoir d’influer sur le cours de l’histoire".