
Dans le cadre des manifestations contre l’adoption de la réforme des retraites ayant lieu régulièrement dans les grandes villes de France ces derniers jours, les interpellations ont été relativement nombreuses. Le plus souvent, ces arrestations entraînent la garde à vue des personnes concernées mais ne débouchent pas sur des poursuites devant un tribunal.
Pour autant, beaucoup de ces manifestants ont fait état de la prise de leurs empreintes digitales ou génétiques lors de ces gardes à vue, et certains l’ont contesté ou refusé. Dans quel cadre ces prélèvements ont-ils eu lieu et le refus est-il possible ? Plus encore, que deviennent les données ainsi collectées ?
Pour comprendre pourquoi ces empreintes sont demandées, il faut d’abord revenir au contexte juridique de ces arrestations. (...)
Outre toutes les atteintes aux biens – dégradations ou destructions – ou aux personnes – violences diverses, les forces de l’ordre justifient souvent le placement en garde à vue sur le fondement de l’infraction de « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». Celle-ci ne nécessite pas d’acte personnel de dégradation ou de violence mais seulement de prendre part à un groupe, même informel et improvisé.
D’autres textes peuvent parfois être mobilisés, comme le fait de dissimuler son visage aux abords de la manifestation ou le fait de se maintenir dans un groupement après des sommations. Néanmoins, contrairement à ce que dit le ministre de l’Intérieur, la seule participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas une infraction pénale. (...)
En cas de refus, la personne encourt à chaque fois une infraction spéciale d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Cette infraction doit être prononcée par un tribunal. Elle est souvent poursuivie en même temps que l’infraction pour laquelle la personne était soupçonnée.
Toutefois, l’infraction de refus est maintenue même si le comportement qui a donné lieu à la garde à vue n’a pas donné lieu à une condamnation. En effet, la Cour de cassation considère que ce sont les conditions de soupçon au moment de la garde à vue qui doivent être regardées et non le devenir de la procédure. (...)
Du prélèvement au fichage
Que deviennent ensuite les données collectées ? Elles sont intégrées dans des bases de données nationales spécifiques sur la décision de l’officier de police judiciaire et sans condition supplémentaire. Il s’agit du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG).
Là encore, peu importe qu’aucune charge ne soit finalement retenue contre les personnes : le procureur de la République a toujours la possibilité d’imposer la conservation des données, même en cas de classement sans suite, par exemple.
Les informations y sont conservées pour une durée de quinze à vingt ans selon la gravité de l’infraction. Elles peuvent être consultées par les policiers et les gendarmes lors d’enquêtes judiciaires ultérieures relatives à tout délit ou crime. Ces bases de données sont aujourd’hui massives puisqu’elles contiennent 6,2 millions d’empreintes digitales et 2,9 millions d’empreintes génétiques. (...)
Ce fichage biométrique s’ajoute au fichage policier « classique » déjà largement possible pour les manifestants interpellés. (...)
Le risque est alors spécialement que ces pratiques de fichage contraignent encore un peu plus le droit de manifester pourtant protégé constitutionnellement.