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Les conditions sont aujourd’hui réunies pour qu’éclate une nouvelle crise financière. Tel est le constat que dresse Jean-Michel Naulot, banquier d’affaires pendant 37 ans et ancien responsable de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le gendarme de la Bourse.
La situation se dégrade, les banques ne financent plus comme elles le devraient l’économie. Les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été tirées. Et les responsables politiques, réunis pour le sommet du G20 ce week-end, préfèrent semblent-ils regarder ailleurs. « Les gouvernements ont très peur, ils sont tétanisés par l’influence des marchés », analyse l’ex-banquier. Réguler la finance est pourtant à notre portée. Voici quelques pistes d’action concrètes. Entretien. (...)
Il est très difficile de savoir quand une crise va éclater. Mais les foyers de crise financière ne sont pas éteints, il peut y avoir de nouvelles répliques très vite. Comme en 2007, ou en 1929, les conditions d’une nouvelle crise systémique sont aujourd’hui réunies : une grande abondance de liquidités, déconnectée des besoins de l’économie réelle, une insuffisance de l’encadrement de la finance, et des niveaux de dette publique et privée très élevés. Si une crise éclate demain, nous ne pourrons pas faire plus que ce qui déjà été fait, au niveau de la politique monétaire [2]. C’est très inquiétant. Les marges de manœuvre se sont aussi réduites en ce qui concerne la politique budgétaire. Car à chaque crise financière, la dette publique fait un bond spectaculaire, réduisant un peu plus les capacités d’action des gouvernements.
Vous comparez la situation actuelle de la finance à une dangereuse centrale nucléaire...
Je trouve ce terme assez parlant : nous sommes face à une centrale nucléaire mal contrôlée. Elle brasse des capitaux absolument considérables, utilise des produits parfois dangereux, des matières fissiles. Et toute une partie de cette « centrale nucléaire », de ces capitaux, est gérée dans des lieux sans aucune transparence. C’est la finance de l’ombre : cela représente un quart, probablement le tiers, de la finance mondiale.
Une crise de cette centrale nucléaire financière aura des conséquences immédiates sur l’économie réelle. (...)
La situation est assez terrifiante, et nos dirigeants politiques évitent de se poser des questions. Ils se sont habitués à ces situations complètement extravagantes. Jusqu’à la réunion du G20 de Londres, en avril 2009, j’étais convaincu que nous allions revivre la crise financière des années 1930. Puis nous avons eu le sentiment qu’une nouvelle gouvernance mondiale était possible : le communiqué du G20 était bien rédigé, il avait l’air tellement sincère... Et pourtant nous sommes passés à autre chose, nous avons oublié tout ça. Cela me fait enrager. D’autant qu’on imagine bien les réactions face à de nouvelles crises : les dirigeants politiques diront que les financiers n’ont rien compris, que c’est absolument scandaleux... Mais si une nouvelle crise survient, ce seront eux les responsables ! Car la centrale nucléaire, on peut la maîtriser. On peut la neutraliser. Et sans perturber les marchés. (...)
Les banques et acteurs financiers jouent leur rôle : ils défendent leurs intérêts. Le problème, c’est que le pouvoir politique accepte cette influence. C’est très grave : ce qui est en jeu, c’est la sauvegarde de la démocratie. (...)
Sur la politique économique, le fonctionnement de la zone euro, il est possible de prendre des initiatives au niveau national. Mais la régulation financière ne peut être réalisée qu’à l’échelon européen et mondial. Il faut une gouvernance internationale beaucoup plus exigeante dans la finance si nous voulons éviter une déstabilisation permanente. L’attitude d’un responsable politique devrait être de plaider pour que, sur chacun des grands chantiers, une ou deux mesures soient appliquées pour changer les choses à moyen terme. Et à très court terme, il vaut mieux intervenir, en risquant quelques turbulences sur les marchés, même si cela a un coût immédiat. Dire qu’on ne peut rien faire, qu’il n’y a pas de marge de manœuvre, ne jamais prendre de risques, c’est la pire des situations ! C’est accepter une dégradation sur le plan économique, social, et au final politique.