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Le yoga en prison, des séances d’évasion de l’esprit
Article mis en ligne le 17 août 2020

Il est 14h15, à la maison d’arrêt de la Santé. Au milieu de l’été, dix hommes incarcérés s’évadent sous les yeux des surveillant·es. Ils se sont donné rendez-vous dans une salle étroite bordée d’un mur de trois fenêtres barreaudées. Cette fuite n’est qu’une rêverie dont Marion, professeure de yoga, est la complice.

Ici, onze tapis colorés jonchent le sol et supportent le poids de corps aussi agiles que maladroits. Les membres s’étirent, certains trémulent sous la contrainte des positions suggérées par la professeure.

Une mélodie douce fait vibrer les tympans et étouffe le bruit des émetteurs radios des surveillant·es qui sont à quelques dizaines de mètres plus loin. Une autre musique l’accompagne, celle des vrombissements dynamiques des voies respiratoires des élèves. Ils viennent d’univers différents, certains purgent encore de lourdes peines, d’autres ont bientôt fini de payer le prix déclaré par la justice.
La grandeur du silence

Un peu plus tôt, avant le début du cours, ils sont arrivés un par un. Fréderic est venu voir Marion, il pense quitter les lieux dans quelque temps et lui demande des bons plans pour pratiquer le yoga à sa sortie. Comme tous les autres, il a découvert la discipline derrière les barreaux. Il est certain de vouloir continuer.

Le bouche-à-oreille a fait de ce créneau une réussite. Beaucoup sont sur liste d’attente et espèrent pouvoir intégrer le groupe de fidèles. L’un d’entre eux est incarcéré depuis plus d’un an, et déclare aisément qu’il ne raterait le cours « pour rien au monde ». La parole est assez unanime : pendant plus d’une heure, c’est l’occasion pour ces hommes d’oublier l’univers carcéral et d’évacuer les problèmes.

Celui qui se fait appeler Bruce Wayne avoue, qu’au départ, il pensait que c’était « un truc de femmes ». « Je pensais aussi que c’était facile, mais en fait non, c’est pour tout le monde et c’est très physique. » Frédéric, lui, est un amateur de taekwondo, il cherchait une activité « qui allie souplesse et esprit ». « Le yoga c’est parfait, je viens trouver du calme. Comme dit Alfred de Vigny, le silence est grand, tout le reste est faiblesse. »

C’est l’occasion pour ces hommes d’oublier l’univers carcéral et d’évacuer les problèmes.

Voici un converti qui n’est plus à prêcher. Il avoue faire des exercices tous les soirs dans sa cellule, une manière pour lui de retrouver de la sérénité. Avant, il la cherchait avec l’alcool. Musicien, l’homme avoue qu’il prenait « deux verres de whisky avant de monter sur scène. Maintenant, ça sera des exercices de respiration ».
Au-delà des barreaux

Le succès de ses cours, est certainement dû à la volonté de partage de Marion : « Je sens vraiment qu’ils reçoivent quelque chose de très fort. Tous sont à l’écoute. Émotionnellement, quelque chose passe les portes de la prison. Ici, mon enseignement prend tout son sens car ce que je reçois est très direct. À l’extérieur, en fin de séance, j’ai plutôt des élèves qui quittent le cours vite fait, pour rentrer chez eux. La maison d’arrêt de la Santé j’ai un retour sur les bénéfices physiques et psychologiques. » (...)

« J’ai appris à respirer. Mon procès a été long et compliqué à gérer. Sur le banc des accusés, j’ai géré le stress grâce à quelques techniques », explique-t-il. Depuis qu’il a payé sa dette, le jeune homme a repris quelques cours à l’extérieur.

Marion lutte aussi contre les clichés. Les gens autour d’elles s’étonnent toujours qu’elle puisse donner des cours à un groupe d’hommes, qui plus est, en détention. (...)

La jeune femme se désole du traitement médiatique et populaire de la détention, pour elle « on les déshumanise dans les débats de société ». « Mon idée, c’est de ne pas les laisser pourrir, ne pas les rendre complètement fous. Ce qui m’intéresse, c’est de donner accès à cette discipline à tout le monde. »
Évasion partielle

L’accès à la culture en détention, c’est le travail de Chloé. Coordinatrice culturelle à la maison d’arrêt de la Santé, elle se réjouit « du chouette lien et de la solidarité que Marion a créé ». Il y a aujourd’hui plus de vingt personnes sur liste d’attente. Contrairement à d’autres activités qu’elle pourrait proposer, elle sait qu’elle n’a pas besoin de les relancer.

Au-delà de l’accès à la culture, les cours deviennent presque des séances thérapeutiques. (...)