
Le cyclone Haiyan a frappé les Philippines le 8 novembre 2013. Par sa violence, il illustre les conséquences du réchauffement climatique. Les classes possédantes s’avèrent incapables de répondre aux désastres humanitaires qui creusent brutalement les inégalités sociales. Les puissances mettent en œuvre la « diplomatie des catastrophes », envoyant leurs flottes militaires sur le théâtre des opérations. Les enjeux de la solidarité n’en sont pour nous que plus importants
(...) Des vents plus forts, des vagues plus hautes, des effets plus dévastateurs… Voici ce qui nous attend. Pendant ce temps-là, l’Australie jette au panier les lois visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ; le Japon revoit très à la hausse ses « objectifs » en la matière ; l’Union européenne juge que la crise climatique ne doit pas conduire à mettre en cause la « compétitivité » des entreprises ; les grands producteurs d’énergie fossile « encadrent » la conférence de Varsovie sur le climat… (...)
Désastre humanitaire et social. Le super typhon Haiyan a traversé en son centre, d’est en ouest, l’archipel des Philippines, balayant sur son passage une grande partie des îles formant les Visayas, mais ne touchant que marginalement Luzon au nord et Mindanao au sud. Les destructions sont souvent d’une rare ampleur : 80 à 95% de dizaines d’agglomérations soufflées ; de nombreux villages côtiers rayés de la carte.
Le choc a été très brutal, traumatisant. Les populations ont vécu un moment d’apocalypse. Les morts officiellement recensés approchent les 10.000. On ne connaîtra peut-être jamais le nombre réel des décès. Le gouvernement a tout fait pour minimiser la gravité de la situation. Des corps ont été emmenés par les flots, bien d’autres ont été enterrés dans des fosses communes avant d’avoir pu être identifiés. Des centaines de milliers de survivant.e.s ont fui les zones dévastées…
L’ampleur de la catastrophe est d’autant plus grande qu’elle touche un vaste territoire. Plus de 9 millions de personnes sont affectées. (...)
La population a perdu ses moyens de subsistance (bateaux de pêche, matériel agricole…) et ses sources d’emploi, la grande majorité des salariés se retrouvant au chômage du fait des destructions. Le sentiment (justifié) d’abandon aidant, celles et ceux qui l’ont pu ont pris la route de l’exode vers la capitale (Manille-Quezon City), le centre économique de Cebu, préservé, ou Mindanao, au risque pour les pauvres d’aller gonfler les bidonvilles urbains. Ainsi, le port de Tacloban, dans l’île de Leyte, comptait 230.000 habitant.e.s – 100.000 d’entre eux ont littéralement fui cette ville en décombres.
Depuis longtemps déjà, ce sont les quelque 12 millions d’émigré.e.s philippin.e.s qui permettent à bon nombre de familles populaires de survivre, grâce à l’argent qu’ils envoient au pays. Les voilà à nouveau appelés à l’aide, mais ce sont souvent des sans-papiers aux revenus très modestes : leur capacité de sacrifice à des limites et les territoires sinistrés risquent de sombrer dans une pauvreté plus grave encore qu’auparavant (ils comptaient déjà parmi les régions les plus déshéritées des Philippines). L’onde de choc social d’Haiyan peut aussi de s’étendre au-delà en affectant l’économie du pays et en accentuant la précarité dans les zones d’accueil des réfugiés climatiques. (...)
Le clientélisme est l’une des marques de fabrique du régime philippin. Que ce soit par le biais des députés ou des autorités locales, une bonne partie de l’argent public destiné au « développement » ou à la « lutte contre la pauvreté » passe sous le contrôle des grandes familles et sert à conforter leurs clientèles – en toute légalité ou toute illégalité suivant les cas |5|. Il en va de même des secours aux victimes de désastres humanitaires. Leur répartition devient ainsi l’objet d’âpres marchandages dont les populations font les frais. Certains en profitent pour détourner l’aide internationale et la vendre à leur profit : on retrouve déjà sur les marchés de Manille des lots d’aide alimentaire US ainsi que des vêtements reçus à l’internationale. Un scandale de belle ampleur menace et le président Aquino a dû nommer comme responsable des secours un homme à poigne choisi en dehors du sérail : l’ancien chef de la police et ex-sénateur Ping Lacson connu pour ses méthodes expéditives, mais qui n’a jamais été soupçonné de corruption |6|.
Les Philippines sont aussi l’un des pays où les inégalités sociales sont les plus criantes, même en temps de croissance économique. (...)
« les Etats-Unis ont engagé un rapprochement en matière de défense avec les Philippines et souhaitent y positionner des militaires ». Tokyo peut pour sa part « renforcer sa coopération militaire avec les pays d’Asie », coopération qui « prend la forme d’exercices militaires comportant une dimension d’aide humanitaire et en cas de désastre, en particulier les exercices Cobra Gold, Cope North et Rimpac. »
Les populations victimes de catastrophes humanitaires deviennent ainsi des pions sur le grand échiquier géostratégique de l’Asie de l’Est et du Nord-Est. (...)
A la mi-décembre, Mi-HANDs se préparait à engager l’étape suivante de leur campagne – la « réhabilitation initiale ». Il s’agit de s’attaquer à la reconstitution d’un cadre de vie pérenne permettant à la population de reprendre en main son propre avenir. Le trauma de la catastrophe du 8 novembre est très profond et – dans la mesure où elles existaient – les organisations sociales n’ont pas résisté à l’épreuve. L’objectif est de créer les conditions psychologiques et matérielles (maisons, moyens de subsistance…) de la reconstitution d’un tissu social actif, d’une auto-organisation des victimes. L’expérience accumulée à Mindanao peut s’avérer ici précieuse : l’organisation des victimes de désastres humanitaires et des personnes déplacées est devenue un mouvement social au même titre que les associations paysannes ou les syndicats.
Tout doit être conçu sur le long terme et en se plaçant du point de vue des victimes. Par bien des aspects, la campagne de solidarité initiée par Mi-HANDs a déjà posé des jalons pour l’avenir. Elle s’appuie sur une mobilisation militante et non pas sur de lourdes structures administratives, des appareils de permanents : c’est véritablement une solidarité « horizontale », populaire, entre deux régions (Mindanao et les Visayas) et envers des inconnus alors qu’aux Philippines, ce type d’aide, non institutionnelle, ne concerne généralement que les proches, les membres de sa famille.
Mais l’étape qui s’ouvre est difficile. Les frais logistiques sont élevés du fait des distances (les secours matériels doivent être acheminés de Mindanao ou Cebu), l’aide gouvernementale fait cruellement défaut, les autorités locales sont atones, la phase de reconstruction sera longue. Notre solidarité ne doit pas leur faire défaut...