
En août dernier, les autorités russes célébraient leur victoire dans la course internationale aux vaccins contre le Covid en accordant le feu vert à Spoutnik V. La rapidité de cette certification ne fut pas sans susciter un certain scepticisme en Europe, mais les recherches ont semblé prouver la fiabilité et l’efficacité de ce vaccin, même si des voix se sont élevées pour dire que la Russie n’avait toujours pas livré de données brutes.
Quoi qu’il en soit, il semble qu’il soit plus facile en Russie de produire un vaccin que de persuader la population de se faire vacciner. La campagne de vaccination de masse a débuté en janvier en Russie, mais, pour l’instant, seulement 16 millions de personnes, soit environ 11% de la population du pays, a reçu deux doses. Aux États-Unis, où la campagne de vaccination a démarré en décembre, plus de 150 millions de personnes ont été entièrement vaccinées, soit 46% environ de la population.
Jusqu’ici, la Russie a approuvé au total quatre vaccins contre le Covid. (...)
Le Spoutnik Light est un vaccin à une seule dose et ses fabricants ne cachent pas qu’il est moins efficace que le Spoutnik V. Les fabricants de l’EpiVacCorona ont aussi annoncé récemment qu’une perte des anticorps avait été enregistrée neuf mois après l’inoculation chez la moitié des volontaires qui avaient reçu ce vaccin. Les résultats des essais du CoviVac n’ont pas encore été publiés, mais des doses sont disponibles dans les hôpitaux.
Le Spoutnik V semble donc être la meilleure option à l’heure actuelle, même si des scientifiques doutent que son efficacité soit vraiment supérieure à 90%, comme l’affirment ses fabricants. En outre, l’Organisation mondiale de la santé n’a toujours pas approuvé la certification du Spoutnik V en raison du manque de données. Les différentes incertitudes qu’il y a autour de ces vaccins spécifiques constituent l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de personnes en Russie hésitent à se faire vacciner.
« Cette dynamique ne semble pas plausible »
Mais –comme aux États-Unis et ailleurs– ce n’est bien sûr pas le seul facteur qui explique cette réticence. Depuis le début, la réaction du gouvernement russe face à la pandémie s’est caractérisée par des incohérences et des contradictions qui ont poussé la population russe à se méfier de la parole gouvernementale au sujet des vaccins. Certaines des mesures prises par Moscou au printemps dernier étaient extrêmes.
Non seulement les espaces publics étaient fermés mais, en outre, les habitants devaient avoir une dérogation numérique pour sortir de chez eux, les promenades étaient limitées à trois par semaine et les personnes testées positives au Covid étaient pistées par une application qui leur imposait d’envoyer des selfies aux autorités à des moments aléatoires (parfois en pleine nuit) afin de prouver qu’elles se trouvaient bien chez elles. (...)
À la même période, le gouvernement décida de ne pas annuler le référendum sur la Constitution de juillet, dont l’objectif premier était de permettre à Vladimir Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036. Tandis que des millions de Russes étaient accueillis dans les bureaux de vote, le gouvernement interdisait des manifestations pacifiques contre ces changements constitutionnels en prétextant des « mesures sanitaires ». Les manifestations s’achevèrent par des arrestations. (...)
Plusieurs personnes, dont des experts, remettent aussi en question les chiffres officiels du Covid en Russie. (...)
Cette situation dans laquelle un gouvernement se retrouve incapable de donner des instructions claires et sensées pour lutter contre la pandémie peut rappeler ce qui s’est passé aux États-Unis, mais la confusion semble avoir atteint un niveau plus élevé en Russie. (...)
à Moscou, le nombre de décès quotidiens dus au Covid revenait la semaine dernière à son niveau le plus haut de 2020. Les autorités russes semblent être en train de paniquer. Il leur a fallu des mois pour comprendre que les Russes n’avaient pas envie de se faire vacciner en dépit de la gratuité des vaccins et de leur facilité d’accès. Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs reprises que le vaccin contre le Covid ne serait pas obligatoire, mais le Kremlin semble avoir récemment changé de point de vue.
Théories du complot
Les autorités de plus de dix régions russes, y compris celles de Moscou et de Saint-Pétersbourg, ont ordonné aux entreprises et aux institutions impliquées dans les secteurs de la vente au détail, de la santé, de l’éducation et des transports publics de s’assurer que 60% au moins de leurs employés seraient entièrement vaccinés d’ici le 15 août. Le gouvernement ne veut toutefois toujours pas parler de vaccination obligatoire (...)
Comme dans de nombreux autres pays, les théories du complot en Russie sont une raison supplémentaire qui explique pourquoi la population est réticente à se faire vacciner. (...)
Les Russes ont l’habitude que les autorités privilégient la politique au détriment du bien-être des citoyens et ils ont tendance à croire les personnes qu’ils connaissent plutôt que les services de l’État ou ses chaînes de télévision. Le gouvernement ne fait que contribuer à ces sentiments. Par exemple, Vladimir Poutine a reçu sa première injection en mars, plusieurs mois après le début de l’inoculation de masse, et a refusé de révéler quel vaccin il avait reçu. (...)
Certaines mesures récemment prises par Moscou ont aussi soulevé des interrogations au sujet des discriminations à l’encontre des personnes non vaccinées. (...)
Les autorités tentent d’encourager la population à se faire vacciner à l’aide d’incitations, comme des donuts gratuits, des billets pour des matchs de baseball, des billets de loterie avec à la clé un prix de 1,5 milliard de dollars ou même des armes à feu. Un grand nombre d’universités américaines exigent de leur personnel et des étudiants qu’ils se fassent vacciner. (...)
Les régions russes ont aussi commencé à distribuer des voitures et des appartements au cours de loteries destinées aux citoyens vaccinés. Mais il serait plus productif que le gouvernement s’attache à mieux informer la population sur les vaccins et leurs effets secondaires. Au lieu de cela, les chaînes de télévision passent énormément de temps à critiquer les vaccins occidentaux contre le Covid. (...)