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France Culture
Les absents du rapport Blanchard-Tirole
Article mis en ligne le 29 juin 2021

Deux économistes de renom ont remis au Président un rapport de 500 pages sur les défis à venir : changement climatique, vieillissement, inégalités. Faut-il le considérer comme " un bien commun" comme le font leurs auteurs et l’Elysée ? Quelles sont ses limites ?

L’Elysée se défend d’avoir commandé ce rapport (en janvier 2020, donc avant le déclenchement de la crise sanitaire) pour nourrir les propositions de son hôte quand il lancera sa campagne présidentielle, mais qualifie ce rapport de "bien commun", ou encore de boite outil. Les deux rapporteurs acquiescent à ces qualificatifs.

C’est une boite à outil, ça peut servir à tout le monde. On l’a fait à la demande du Président mais on pense que c’est la manière de réfléchir à ces trois sujets de manière générale. Olivier Blanchard sur France Inter.

Les trois sujets identifiés comme des bombes à retardement par les 26 membres de la commission Blanchard-Tirole sont :

le réchauffement climatique,
le vieillissement,
les inégalités

Alors qui sont ces membres qui ont réfléchit de manière générale pour nous dire la manière de réfléchir ?

Ils viennent du monde entier, un tiers sont français (liste à la fin de la page), mais aucun n’est historien, sociologue, philosophe, anthropologues... il n’y a que des économistes. (...)

100 % d’économistes.... plutôt "mainstream"

Ok admettons, une commission d’économistes, c’était le mandat. Mais pourquoi alors n’y trouve t’on aucun membre de l’AFEP justement ? Cette association d’économistes défend l’idée d’une économie non science dure mais science sociale, non fondée sur des calculs d’utilité chiffrés, mais ancrée dans les institutions, et "désancrée" de la vision de l’homo economicus.

Pourquoi cet absence ? L’Afep dit ne pas avoir été invité. Et quand on demande à Olivier Blanchard et Jean Tirole, pourquoi cet oubli, ils répondent.

Nous n’avons pas raisonné en terme de chapelles. Nous avons choisi soit les spécialistes mondiaux sur les trois sujets, soit des économistes universellement reconnus. Olivier Blanchard et Jean Tirole, en réponse à mes questions par email.

Cette référence à "l’universel" interroge alors que la science économique est traversée depuis des années par des conflits entre orthodoxes, hétérodoxes, pratiquants d’une économie quantitative, partisans d’une approche moins mathématique et plus politique etc...

Non seulement, la commission Blanchard-Tirole n’est pas pluraliste, mais ceux qui l’ont composé nient même que ce pluralisme existe dans la science économique. C’est un manque patent, mais c’est une vieille histoire qui se répète. (...)

Quand Lordon fait irruption... malgré lui

Lors du passage sur France Inter, un autre nom d’économiste fait irruption par le biais d’un auditeur : Frédéric Lordon, économiste nationalement connu, au moins, et clairement hétérodoxe.

" Pour réduire les inégalités, pourquoi ne pas limiter l’écart entre les plus hauts salaires, et les plus faibles ? " interroge l’auditeur.

C’est très compliqué, on n’est pas dans une économie planifiée, et on a vu ce que cela a donné, réplique Jean Tirole. On est dans une économie de marché, on n’a pas trouvé d’alternative, et l’économie de marché a des défauts donc il faut un rôle pour l’Etat. Pour les économistes dans notre commission mais je crois pour les économistes réalistes, il faut un équilibre entre les deux surenchérit Olivier Blanchard.

L’Etat n’est pas absent du cadre de la réflexion de la commission Blanchard-Tirole. Le rapport fait même un "benchmark", comme on dit, c’est à dire une étude de marché très détaillée des moyens d’action de la puissance publique dans le monde entier. Le problème, insistent les économistes, c’est la procrastination des élus.

En revanche dans le cadre, il y a un absent. Le covid. Le covid est considéré comme un enjeu de court terme. (...)

Un rapport pour le monde d’après ?

C’est une erreur d’analyse majeure se désespère Eloi Laurent. L’OMS a dit que la pandémie serait avec nous pendant une décennie, c’est un sujet structurel. Ne pas mettre la santé, la biodiversité et les écosystèmes comme sujets structurants prouve que le rapport est assez largement du monde d’avant… Eloi Laurent, professeur d’économie à Science PO.

Alain Grandjean, docteur en économie, membre du Haut Conseil pour le Climat regrette aussi cette omission de la biodiversité comme défi majeur (...)

Alors que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour que la Banque Centrale Européenne participe, via sa politique monétaire au verdissement de l’économie, le rapport tranche "La Banque centrale européenne n’a pas vocation à lutter contre le changement climatique" (page 209).

Le quoi qu’il en coûte, les milliards qui ont coulé, et coulent encore à flot sont également hors champs de l’analyse.

On pourrait continuer encore longtemps la liste des sujets et idées absentes de ce rapport, et ce serait finalement malhonnête.

Qu’un rapport soit limité, par ses auteurs, leurs compétences, leurs approches est inévitable. La commission Blanchard-Tirole n’est pas la "dream team" des experts comme on l’a entendu ces derniers jours, c’est une commission d’économistes parmi d’autres, moins pluraliste que d’autres.

Que leur rapport soit débattu, très bien, que l’Elysée estime qu’il peut donner le LA des débats à venir, alors qu’il fait fi de l’année écoulée, manque de réalisme. Que leurs rapporteurs le présentent dans les médias en disant en substance, "c’est comme ça qu’il faut réfléchir", manque notoirement de modestie. Mais ce qui (me) frappe le plus, c’est qu’après les changements radicaux qui ont été nécessaires pour lutter contre la crise du covid, il soit encore considéré comme rationnel d’affirmer qu’il existe des "vérités économiques".