
Selon les derniers chiffres officiels connus, qui remontent à 2019, deux salariés meurent chaque jour dans le cadre de leur activité professionnelle. Dans sa chronique, Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », revient sur le silence qui accompagne ces drames révélateurs des défaillances de l’organisation du travail.
C’est une hécatombe invisible, une somme de drames de l’« insécurité » pour lesquels aucun ministre ne se déplace jamais. A l’heure où « le social » revient en force, dit-on, dans la campagne présidentielle, les 733 salariés morts en un an dans des accidents du travail (chiffres de 2019, derniers connus), soit deux par jour, forment un cortège de fantômes auxquels la société, le débat politique en général, et en particulier la gauche, pourtant en quête de retrouvailles avec le peuple, tournent résolument le dos.
Ces morts oubliés ont des noms. Ils s’appellent Romain Torres, apprenti bûcheron de 17 ans, percuté par un tronc d’arbre sur un chantier forestier du Bas-Rhin le 28 juin 2018. Ou Teddy Lenglos, 20 ans, manœuvre dans le BTP, enseveli le 10 janvier 2020 sous les décombres après l’effondrement d’un mur à Béthune (Pas-de-Calais). Ou Chahi, 41 ans, livreur à vélo pour Uber Eats, mort percuté par une voiture à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), le 6 mai 2021. Ou Abdoulaye Soumahoro, 41 ans, tombé dans un malaxeur à béton le 22 décembre 2020 sur le chantier du Grand Paris Express. (...)
Depuis 2016, Matthieu Lépine, professeur d’histoire et géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a entrepris de donner une visibilité à ces tragédies, de sortir de l’anonymat leurs victimes, de reconstituer leur vie afin de les faire passer « du fait divers au fait social ». Son compte Twitter, ouvert en 2019 et intitulé « Accident du travail : silence des ouvriers meurent », est suivi par plus de 40 000 personnes. Il y publie les articles de la presse qu’il dépouille systématiquement, interpelle la ministre du travail, suit les – rares – procédures judiciaires, rend hommage à ceux qui se sont « tués à la tâche », met leurs familles en contact. Vendredi 28 janvier, il comptabilisait déjà 24 morts depuis le début de la nouvelle année. (...)
Seule une telle initiative militante permet de rendre compte de ce phénomène enfoui. Car aucune statistique officielle ne rend compte de la totalité des accidents du travail survenant en France. (...)
tout porte à croire que c’est parmi les livreurs, les chauffeurs à leur compte et autres personnels ubérisés que prolifère désormais le fléau des accidents du travail. (...)