
Les eaux irlandaises et anglaises font face à une canicule marine exceptionnelle. Un phénomène de plus en plus fréquent, avec des conséquences catastrophiques pour la biodiversité.
L’été commence à peine que l’hémisphère nord semble s’être transformé en fournaise. Du pied des immeubles aux couloirs du métro, partout, la chaleur s’infiltre, tournoie et écrase les corps. Les animaux terrestres ne sont pas les seuls à faire les frais de l’élévation des températures. Dans les profondeurs océaniques, le thermomètre s’emballe également, jusqu’à provoquer des « canicules marines ». Dernier exemple en date : l’Atlantique nord, dont certaines parties connaissent, depuis le début du mois de juin, des températures parfois supérieures de 5 °C aux normales de saison. Un phénomène dont la fréquence, l’intensité et la durée augmentent à cause du réchauffement climatique, avec des conséquences catastrophiques pour les écosystèmes marins.
Par « canicules marines », les scientifiques désignent les épisodes durant lesquels la température de la mer rejoint, dans une zone donnée et pour une période allant de quelques jours à plusieurs mois, les 10 % des températures les plus élevées jamais enregistrées au cours des trente dernières années. Réchauffement climatique oblige, 8 des 10 vagues de chaleur océaniques les plus extrêmes ont été observées au cours de la dernière décennie. (...)
Plusieurs facteurs peuvent favoriser l’apparition d’une canicule marine, détaille un article publié dans la revue Nature Communications en 2019 : la présence du phénomène climatique El Niño, une modification des courants marins, un affaiblissement temporaire des vents — qui contribuent à mélanger, et donc refroidir, les eaux de surface —, une augmentation de la température de l’air, une diminution de la couverture nuageuse… (...)
Des eaux si chaudes « qu’aucune espèce vivant sur la planète n’y serait plus adaptée » (...)
depuis quarante ans, les eaux de surface se sont réchauffées, en moyenne, de 0,15 °C par décennie. Leur température atteint aujourd’hui des sommets, auxquels viennent se superposer les canicules marines. « L’océan est tellement chaud qu’il est toujours au bord du précipice, explique Robert Schlegel. Il suffit d’un rien pour que, pouf, il y ait une canicule marine. »
Historiquement, détaille-t-il, les vagues de chaleur étaient un phénomène « rare », provoquées par une conjoncture météorologique exceptionnelle. Elles épousaient alors une forme de cercle, et restaient très localisées. Désormais, « elles commencent à ressembler à une toile d’araignée », submergeant petit à petit l’ensemble de l’océan.
Selon les estimations du Giec, la durée des canicules marines a augmenté de 54 % au cours du siècle passé. (...)
Cette évolution promet, pour les écosystèmes marins, des effets dévastateurs. « Les espèces marines ont évolué pendant des millions d’années pour occuper des fenêtres thermiques spécifiques, décrit à Reporterre l’écologue Dan Smale. Lorsque ces seuils de température sont dépassés, cela peut générer un stress important, des échecs reproductifs, voire des mortalités massives, avec des implications pour l’ensemble de la chaîne alimentaire et des écosystèmes touchés. » (...)
Néfastes pour les poissons, ainsi que pour les oiseaux, lions de mer, phoques et autres mammifères qui s’en régalent, la disparition des jungles et des prairies sous-marines l’est aussi pour le climat. (...)
À ces mortalités massives se greffe un phénomène de redistribution des espèces, aux conséquences parfois funestes. Certaines espèces invasives appréciant les eaux chaudes, comme le poisson-lapin, peuvent profiter des canicules marines pour s’aventurer de la mer Rouge jusqu’en Méditerranée orientale, dévorant les algues et les herbiers sur leur passage. Les espèces qui ont davantage d’affinité avec les eaux froides peuvent, au contraire, voir leur abondance diminuer, signale Joaquim Garrabou.
« On peut avoir l’impression que tout va bien, que la mer est bleue, qu’elle est plus chaude et que c’est mieux pour les vacances. Mais ce confort apparent pour la baignade a des conséquences très sévères » (...)