
Présenté comme « humanitaire », le nouveau camp de Calais est entouré d’un enclos, vidéo-surveillé, contrôlé par un système biométrique, sans eau, ni douche, ni possibilité de cuisiner. Les réfugiés disent qu’il ressemblent à une prison et beaucoup refusent d’y aller. Ils ont raison : derrière ces rangées de containers chauffés se dessine un piège sécuritaire.
Au mois de janvier, sur cette zone dunaire de Calais, dire que le climat est rude est un euphémisme. Il y fait froid, humide, il y a beaucoup de vent, peu d’infrastructures et de réels problèmes de santé. Avec l’arrivée annoncée des premières neiges, chacun sera donc rassuré de savoir que les réfugiés de Calais, qui attendent sur notre sol inhospitalier une occasion de passer en Angleterre, dorment enfin au chaud.
Sauf qu’il n’en est rien.
Aujourd’hui, seules quelques dizaines de personnes ont accepté de rejoindre les containers. « Ma cabane est assez confortable » a ainsi répondu un habitant de la ’Jungle’ questionné par Libération. En fait les réfugiés, qui craignent d’être forcés à demander l’asile en France, perçoivent le camp de containers comme un espace carcéral - et il faut bien avouer que le personnes qui ont élaboré ce projet ont choisi d’assumer une esthétique et des procédures sécuritaires pour le moins inquiétantes. (...)
1. UN ENCLOS VIDÉO-SURVEILLÉ À ACCÈS BIOMÉTRIQUE
Le camp de containers est entouré d’un grillage et vidéo-surveillé. Son accès est biométrique. Les responsables politiques ne cessent de le chanter sur toutes les gammes : l’accès au camp ne nécessitera pas de donner ses empreintes digitales. De quoi s’agit-il exactement ? (...)
2. LE CONSTRUCTEUR EST UN ANCIEN OFFICIER DES RENSEIGNEMENTS MILITAIRES
L’entreprise retenue pour fabriquer les containers s’appelle Logistic Solutions. Elle est située à Grand Fougeray, entre Rennes et Nantes. Si elle annonce « une gamme très large » de solutions logistiques en containers et diverses formules de Life Camp, elle a tout de même quelques spécialités.
Selon le Journal de Vitré, elle a ainsi signé « le plus gros contrat de son histoire » à l’automne 2014, pour 30 millions d’euros, en s’associant avec Sodexo Défense, pour construire une « base de vie » sur l’atoll de Muroroa. En juin 2015, le blog Lignes de défenseévoque l’inauguration de cette « base de vie du chantier Telsite2 », un chantier militaire lié aux essais nucléaires français en Polynésie. (...)
Ainsi le camp « humanitaire » sans eau, ni douche, ni cuisine, sera fermé par un enclos, vidéo surveillé, à accès biométrique, et construit par une société dont le patron est un ancien de la direction du renseignement militaire. Non vraiment, vous ne voulez pas aller dans ces containers ? (...)
3. OUI, IL Y A L’ELECTRICITÉ
Les containers ont l’électricité, et c’est à peu près tout. Quand on sait que le camp est situé à quelques kilomètres de la centrale nucléaire de Gravelines et de ses 6 réacteurs, c’est la moindre des choses. (...)
4. UN METRE CARRÉ PAR HABITANT
Douze personnes dans 14 mètre carrés, cela fait 1,16 m2 par habitant. Multiplié par 125 containers, le camp aura donc une très forte densité. Pour le dire autrement, les réfugiés vont dormir entassés les uns sur les autres. (...)
Des containers alignés entourés d’un grillage où 1500 personnes se côtoient avec à peine plus d’un mètre carré d’espace au sol. Il suffirait de rajouter des barbelés au dessus de la grille qui est déjà là, de fermer l’entrée et son système d’accès qui est déjà là. En 2 heures, il y aurait un camp de Rivesaltes à Calais.
Je me suis dit aussi :
On n’y est pas encore. Ou bien si ?
5. ENFERMER, DISPERSER, DÉPLACER JUSQU’OÙ ?
Outre l’objectif affiché et louable de mettre 1500 personnes « prioritaires » au sec et au chaud, la construction de ce camp obéit à des logiques politiques ouvertement répressives.
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Depuis quelque jours la police menace d’envoyer les bulldozers contre une zone qui concerne plus de 1000 personnes. Si vous lisez l’anglais, je vous recommande vivement cet article duGuardian qui évoque les ultimatums policiers et donne une idée assez précise de ce qui se passe ces jours-ci autour des containers : Calais ’Jungle’ residents defy bulldozers as police issue ultimatum to leave. (...)
A terme, l’objectif est bel et bien de raser la ‘Jungle ‘ pour ne garder que les containers. Cela n’était pas dit au départ, mais le message est de plus en plus explicite. Ainsi la semaine dernière, on pouvait lire dans la Voix du Nord un article carrément intitulé « Calais : en 2016 après l’ouverture du camp humanitaire, la préfecture ne tolérera pas plus de 2 000 migrants » (...)
6. « L’HUMANITÉ N’EST PAS POSSIBLE »
À très court terme, avec ce camps de containers, il s’agit aussi de mettre à distance les mouvements de solidarité qui, parallèlement et de façon complémentaire au travail institutionnel de l’association La Vie Active, soutiennent les réfugiés quotidiennement en les aidant à pratiquer l’auto-construction, en bâtissant des écoles, des lieux de discussion, de prière, des magasins, en organisant des assemblées, des rencontres musicales, des expositions photographiques etc. Tant que des collectifs comme Calais Migrant Solidaritysont sur place et témoignent au quotidien de la situation dans la ‘Jungle’, il est compliqué de réprimer ouvertement les réfugiés et d’appliquer froidement la distinction entre les « bons réfugiés » (qui ont vocation a demander l’asile de France et, le plus souvent, à se le voir refuser avant d’être renvoyés vers leur pays de départ) et les « mauvais migrants » (censés vouloir profiter d’avantages économiques indus, et qui ont vocation à être renvoyés directement dans leurs pays de départ).
Aujourd’hui, dans le Club de Mediapart, on peut lire le témoignage de Florence P. : (...)
Le processus de lutte contre les associations a commencé il y a plusieurs mois déjà, avec l’expulsion violente de plusieurs squats qui s’étaient crées dans la ville de Calais. Ces expulsions, si elles ont donné satisfaction à un certain nombre de calaisiens-en-colère, ont contribué à aggraver la situation dans la ‘Jungle’ en périphérisant encore plus les réfugiés et augmentant le nombre de personnes en situation de précarité rassemblées sur le site.
Aujourd’hui, alors que l’état d’urgence s’est abattu sur la France, les langues se délient et les projets politiques répressifs se font plus menaçants. (...)
7. VINGT MILLIONS D’EUROS ET TOUJOURS PAS D’EAU
J’y reviens parce que cela me semble important et significatif : le budget annoncé pour le chantier du camp, incluant la construction et le frais de fonctionnement, est d’environ 20 millions. Cela place à 160000 € le prix de revient par container, soit, pour pousser la logique comptable jusqu’au bout, un investissement de plus de 13000€ par réfugié. Avec cet argent, n’aurait-on pas pu trouver une autre solution que ce camp de stockage ? (...)
comment comprendre qu’avec un tel budget, on n’ait pas prévu de raccorder les containers à un réseau d’eau ou de donner des possibilités pour faire un thé ou la cuisine ? (...)
8. IL NE MANQUAIT PLUS QUE LES CHARS
La Maire de Calais réclame le soutien de l’armée depuis des mois, à corps et à cris, de préférence lorsque les médias sont nombreux à lui tendre un micro. Eh bien c’est chose faite, les chars sont là. Trois « véhicules blindés à roues de la Gendarmerie » sont en effet présents à Calais. Officiellement… pour « assurer la sécurité des forces de l’ordre », nous dit-on. (...)
9. NOUS, PEUPLES UNIS DE LA JUNGLE DE CALAIS
Un camp fermé par un enclos, vidéo-surveillé, à accès biométrique, construit par une société dont le patron est un ancien militaire de la direction du renseignement militaire, sans eau, ni douche, ni cuisine, harcelé par la police et des groupuscules d’extrême droite, épaulés par trois chars.
Voilà, en substance, pourquoi les réfugiés n’ont pas hâte d’aménager dans le soi-disant camp humanitaire, bien qu’ils meurent de froid, de maladies, d’accidents liés aux tentatives passage, et de colère contre la politique inhospitalière de la France.
Ils ont publié cette semaine un texte qui dit ceci :
« Nous, peuple unis de la Jungle de Calais, refusons les demandes du gouvernement Français concernant la réduction de la superficie de la Jungle. Nous avons décidé de rester où nous sommes et résisterons pacifiquement aux plans gouvernementaux visant à détruire nos maisons. Nous plaidons pour que les autorités Françaises et la communauté internationale comprennent notre situation et respectent nos Droits Humains Fondamentaux. »
Face à cette situation d’urgence, des manifestations de solidarité auront lieu à Calais les 16, 23 et 30 janvier. Pour les franciliens qui voudraient s’y rendre, des départs en bus sont organisés le 23 janvier.
10. ÉPILOGUE : CONTAINER
Réceptacle de forme, capacité et matière variables, destiné à contenir des marchandises en vrac ou en lots (source) (...)