
À la quasi-unanimité, l’Assemblée nationale a invité ce jeudi le gouvernement français à reconnaître le génocide commis envers la minorité turcique, à majorité musulmane, du nord-ouest de la Chine. La France Insoumise s’est abstenue, tout comme un élu communiste, évoquant soit le manque de consensus au sein de la communauté des experts, soit la guerre froide menée par Washington contre Pékin. Le seul à avoir voté contre appartient à La République en marche.
(...) Mais ce vote historique, qui invite le gouvernement français à faire de même, ne devrait pas modifier la position du président Emmanuel Macron. S’il a condamné à plusieurs reprises la répression féroce dans cette région frontalière du nord-ouest de la Chine, le président de la République se garde bien d’employer ce terme pour ne pas froisser la République populaire de Chine, deuxième puissance économique mondiale et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. (...)
La résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours », soumise au vote à l’initiative du groupe socialiste, a été adoptée à la quasi-unanimité des 175 député·es présent·es dans l’hémicycle : 169 pour, cinq abstentions – quatre députés de La France insoumise, Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Danièle Obono et Mathilde Panot, et le communiste Jean-Paul Lecoq – et un contre – le député de La République en marche Buon Tan. (...)
Celui qui a porté cette résolution, le député socialiste de Gironde Alain David, a témoigné de son émotion, et a appelé ses collègues à « être à la hauteur de l’enjeu ». « Le génocide ouïghour est une réalité aussi incontestable qu’insoutenable. La Chine ne doit pas pouvoir menacer impunément les libertés et le respect des droits humains », a-t-il dit, jugeant nécessaire une « action forte » et « cette proposition de résolution en est la première étape ».
Les Français ne sont pas les premiers à avoir adopté un tel texte. D’autres parlements l’ont fait : au Royaume-Uni, au Pays-Bas, au Canada ou en Lituanie. Cependant, s’il y a eu un relatif consensus sur les faits, le débat a montré des divergences.
Si celles et ceux qui se sont abstenus, comme les député·es de La France Insoumise, ont reconnu les souffrances des Ouïghours – Clémentine Autain a décrit « la mise au pas cauchemardesque d’un peuple » et la « destruction à marche forcée d’une culture » –, pas question pour LFI d’utiliser le mot de « génocide ».
« Moi-même j’ai pu relayer des pétitions qui emploient le mot “génocide” au sujet des Ouïghours pour ne surtout pas me dissocier d’un mouvement qui dénonce des crimes inacceptables et que je veux ici saluer [...], a expliqué Mme Autain. Mais il s’agit ici d’une résolution qui engage la parole de la France et les mots doivent être pesés avec justesse et précision. Je suis historienne de formation et je sais que la communauté scientifique n’est pas unanime, il n’y a pas de consensus en son sein pour parler de génocide. »
De son côté, le communiste Jean-Paul Lecoq – qui s’est également abstenu alors qu’un autre député communiste a voté pour – a évoqué « une concurrence mémorielle malsaine » et estimé que cette qualification n’appartient pas au législateur « mais au juge international ».
Dans cette partie de la gauche, cette réticence s’explique aussi par la décision de choisir Pékin contre Washington. Face à l’« empire du mal », on choisirait le moindre mal, quitte à sacrifier les Ouïghours au nom de la lutte contre l’impérialisme américain... (...)
Réaction de la Chine
Pékin a réagi officiellement au vote des député·es par l’entremise d’un communiqué publié sur le site de l’ambassade en France. Le texte dénonce « une diffamation et une stigmatisation délibérées contre la Chine et une ingérence brutale dans les affaires intérieures chinoises ». (...)
Sur Twitter, Dilnur Reyhan, figure de la cause ouïghoure en France et présidente de l’Institut ouïghour d’Europe, s’est réjouie de cette avancée : « Ça y est ! Nous avons réussi ! La France a honoré ses valeurs ! C’est un vote historique ! » (...)
Cette résolution votée par les parlementaires n’aura cependant aucun effet sur la politique de l’exécutif. Emmanuel Macron a toujours revendiqué une diplomatie silencieuse pour ne pas froisser le géant chinois et a écarté ainsi tout boycott diplomatique des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, qui débuteront le 4 février. La ministre déléguée aux sports Roxana Maracineanu représentera la France.
Certes, la résolution « invite le gouvernement français à reconnaître officiellement, et condamner, les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés par la République de Chine à l’encontre des Ouïghours ». Mais il est peu vraisemblable que les parlementaires de La République en marche qui ont voté pour le texte se battent pour faire en sorte que cela devienne une réalité.
Une incohérence que n’a pas manqué de pointer Clémentine Autain : « Si génocide il y a, comment peut-on envoyer une délégation aux Jeux olympiques à Pékin, nouer des partenariats commerciaux et même entretenir des relations diplomatiques avec la Chine ? Combler la faiblesse des actes par l’inflation des mots ne sauvera en rien les Ouïghours. »