
La prévention spécialisée intervient dans les interstices, dans cet espace mouvant qu’est la rue. Là où précisément les institutions publiques ne sont pas, et où parfois, les associations ont jeté l’éponge. Marion* travaille depuis six ans dans une association de prévention spécialisée dans le quartier Nord d’une ville moyenne. Elle est passionnée par son métier mais préfère garder l’anonymat pour être plus libre dans ses propos.
(...) L’écart est béant entre des jeunes « qui ne comprennent plus rien à la République, qui ne croient plus en rien et qui sont en colère et des policiers qui font des actions coup de poing en plein après-midi au milieu de mamans et de petits », témoigne-t-elle. S’il y avait une souffrance au travail, elle serait là, dans cet entre-deux. Les éducateurs sont sommés de choisir leur camp. La vision d’un territoire à l’abandon ne semble pas exagérée. Pour Marion, le manque de présence associative, le manque de services publics dans le quartier, le manque de perspectives décrédibilise la parole de l’éducateur. « Pour pouvoir dire aux jeunes qu’une autre vie est à leur portée ailleurs, il faudrait que ça soit vraiment possible. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. » (...)
Même constat pour David Puaud, doctorant à l’EHESS et éducateur spécialisé, pour qui les injonctions paradoxales se multiplient : « L’assimilation des travailleurs sociaux à des fonctions de force de l’ordre est de plus en plus prégnante. Depuis la loi de prévention de la délinquance de 2007, certains dispositifs remettent en cause le secret professionnel. Des amalgames qui rendent complexe l’action des éducateurs de rue, dont les pratiques se fondent sur un rapport de confiance avec les jeunes du quartier. Du coup, ils peuvent être perçus comme des « balances » ». Et le jeune éducateur de pointer la transformation du métier depuis dix ans avec des lois comme la directive européenne « services », les mesures liées à la RGPP ou encore la loi du 2 janvier 2002 sur l’évaluation et qualité dans l’accompagnement de la personne : « Ces logiques prescriptives et normatives ont des influences sur les pratiques concrètes des travailleurs sociaux, qui transforment leur fonction, leurs « être » ». La souffrance des travailleurs sociaux semble un phénomène tabou dans l’action social.
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Les éducateurs ont le sentiment de voir se dresser, les uns après les autres, des obstacles législatifs et institutionnels incompatibles avec leurs pratiques. Ils doivent aussi faire face à la réorganisation progressive des structures associatives qui relèvent du secteur privé et qui calquent leur fonctionnement sur celui des entreprises. Les établissements sont soumis à des critères de rationalisation : non remplacement des départs à la retraite et embauches de contrats précaires. (...)
l’exigence de rentabilité et de résultat devient de plus en plus pressante alors même que les éducateurs font face à des situations humaines difficiles. Les propositions de réinsertion professionnelle sont compromises par la situation de crise mais aussi par le manque d’initiatives et de moyens de l’Etat. C’est ce que dénonce Hanafi Rahnani, représentant syndical du SNPES-PJJ-FSU et éducateur à Amiens Nord. (...)
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