Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Les enjeux de la biométrie dans l’humanitaire
Article mis en ligne le 2 septembre 2015
dernière modification le 28 août 2015

La biométrie, pour ceux qui n’ont pas passé les dix dernières années à jurer devant le système de contrôle automatisé des passeports à l’aéroport d’Heathrow, est l’utilisation des caractéristiques biologiques des personnes pour leur identification. La plus connue est l’empreinte digitale, mais le balayage informatisé des yeux et du visage est utilisé dans un nombre croissant de contextes. À l’origine, la biométrie moderne servait à identifier les criminels, mais la guerre contre le terrorisme en a fait le secteur que l’on connaît aujourd’hui, évalué à 13,8 milliards de dollars.

Cette technologie a fait un bond en avant ces dernières années et a fait son apparition là où on l’attendait le moins. On peut se servir de son empreinte digitale pour utiliser son smartphone et même les écoliers se font relever leurs empreintes. Facebook peut reconnaître quelqu’un sans même voir son visage, mais des organisateurs de festivals de musique ont misé sur la technologie de reconnaissance faciale. Cela fait longtemps que la biométrie soulève des inquiétudes concernant le respect de la vie privée, mais elle a son utilité et est employée dans de plus en plus de secteurs, dont celui de l’aide humanitaire.

Dans le contexte humanitaire, la biométrie sert soi-disant principalement à éviter les fraudes d’identité, mais une raison sous-jacente apparait dans ce rapport effectué en 2006 en Malaisie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) :

« Nang Piang, réfugié birman, a placé ses doigts avec hésitation sur le scanner biométrique […] “Je ne sais pas à quoi ça sert, mais je fais ce que le HCR me dit de faire”, a-t-il dit […] “C’est une étape importante pour le HCR en Malaisie, car nous renforçons la sécurité de notre système d’enregistrement pour éviter la fraude”, a dit Volker Türk, responsable du HCR en Malaisie. “Une telle mesure de sécurité va certainement asseoir la crédibilité du système d’enregistrement du HCR aux yeux du gouvernement malaisien…” »

Cette dernière déclaration montre bien que l’enregistrement biométrique est mû par les intérêts des États, des sociétés de technologie et des organisations humanitaires, dans cet ordre. (...)

Les critiques tournent autour de deux préoccupations majeures. La première est la sécurité : en 2008, par exemple, PA Consulting a perdu le dossier biométrique de 84 000 prisonniers britanniques, non pas à cause d’un acte cybercriminel, mais parce qu’ils avaient été enregistrés sur une clé USB non cryptée rangée dans un tiroir non fermé à clé dans un bureau non sécurisé. La deuxième préoccupation concerne le respect de la vie privée, parfois plus importante encore du point de vue humanitaire, car la confidentialité relative à l’identité des populations et des individus vulnérables, dont un grand nombre fuit un conflit ou la persécution, peut être essentielle pour leur protection.

Le HCR a affirmé que l’enregistrement biométrique améliorait la protection des réfugiés, mais le débat n’est manifestement pas clos. (...)

Cette politique s’inscrit dans un schéma plus large et plus inquiétant du domaine de la biométrie : ce sont les populations marginalisées qui servent de cobayes pour les nouvelles applications biométriques, toujours sous prétexte que ce serait dans leur intérêt. Privacy International a remarqué que dans les pays où les processus démocratiques tels que le contrôle parlementaire et la primauté du droit fonctionnent le mieux, les systèmes biométriques ont été à plusieurs reprises remis en question et repoussés par des citoyens bien informés. (...)

Selon les opinions politiques, l’enregistrement de l’identité est soit un précieux outil dans la lutte contre la pauvreté, soit un nouveau chapitre de Seeing Like A State [ouvrage de James C. Scott critiquant la volonté de l’État moderne de tout standardiser] – même si l’un et l’autre sont probablement vrais. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de la biométrie ne peut que s’étendre, à mesure que nous nous dirigeons vers une généralisation de la distribution d’argent liquide. L’enregistrement et la vérification sont alors essentiels pour bien cibler les bénéficiaires et surveiller l’efficacité de la distribution. Dans un tel contexte, nous avons pour obligation d’éviter d’utiliser les pauvres comme sujets d’expérience, objets de l’idée implicite que ce sont tous des criminels, si ce n’est maintenant, du moins dans un avenir indéterminé.

Nous avons vu dans cet article comment la conception des systèmes biométriques a privilégié le point de vue des organisations humanitaires ou des gouvernements. Serait-il possible de mettre au point une nouvelle logique de conception de la gestion de l’identité qui ne serait pas une solution rachetée aux entreprises désireuses d’étendre leur marché ?

World Vision a étudié une autre solution en mettant au point son projet Last Mile Mobile Solutions, manifestant ainsi ses inquiétudes concernant la biométrie. Sur ce modèle et celui d’autres initiatives, nous devrions commencer par concevoir les systèmes du point de vue des réfugiés, plutôt que de nos propres organisations, et introduire les principes de la conception participative. Malheureusement, cette perspective échappe toujours à la communauté humanitaire. Le débat est cependant plus crucial que jamais et pas seulement en ce qui concerne la biométrie. (...)

Alors la prochaine fois que vous vous énerverez devant le scanner biométrique de passeport de l’aéroport, rappelez-vous que si votre passeport vous donne la liberté de voyager, cette liberté est surveillée et contrôlée. Vous avez peut-être plus en commun avec les réfugiés comme Olivier Mzaliwa que vous le pensez, mais contrairement à lui, vous pouvez au moins choisir votre file d’attente à l’aéroport.