
Dans un article publié mercredi, « Le Point » accuse le couple LFI de maltraiter une femme de ménage sans papiers. Des éléments recueillis par Mediapart montrent que l’enquête est truffée d’erreurs et d’incohérences. Son auteur, Aziz Zemouri, persiste, mais l’article a finalement été supprimé jeudi midi.
La bombe révélée mercredi par Le Point met gravement en cause Raquel Garrido et Alexis Corbière, couple d’Insoumis tout juste élu·es député·es en Seine-Saint-Denis. Selon l’hebdomadaire, ils emploieraient « depuis un an » une femme de ménage « sans titre de séjour » et « soumise à des cadences infernales ».
L’auteur de l’article, Aziz Zemouri, raconte qu’au cours d’un contrôle d’identité qui aurait eu lieu en mai, des policiers auraient contrôlé l’employée de maison de nationalité algérienne et auraient constaté qu’elle n’avait qu’un passeport algérien. C’est à cette occasion que la femme de ménage de 36 ans aurait révélé travailler « jour et nuit » au domicile des deux Insoumis mais également dans un logement parisien censé accueillir les trois enfants du couple pour qu’ils soient « scolarisés dans la capitale ». (...)
Le couple dément immédiatement ces informations. À la fois dans Le Point, où Raquel Garrido précise avoir recruté des aides ménagères pendant la campagne « à chaque fois avec des personnes disposant de papiers, et bien sûr avec les déclarations Urssaf afférentes ». Mais aussi via un communiqué où il dénonce « un ramassis de mensonges ». Tous deux contestent employer une femme de ménage algérienne depuis un an, avoir un logement à Paris en plus de celui de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), avoir scolarisé leurs enfants à Paris, tout comme les SMS cités dans l’article.
À peine 24 heures après la diffusion de l’article, largement diffusé sur les réseaux sociaux avec le surtitre « Exclusif », le directeur du Point Étienne Gernelle a finalement annoncé, jeudi 23 juin, sa suppression. Une décision exceptionnelle, justifiée selon lui par des « vérifications complémentaires », qui auraient donc été réalisées après publication, révélant des « erreurs et manquements à la prudence ». « Nous poursuivons l’enquête pour savoir ce qu’il s’est passé », a expliqué Étienne Gernelle et présenté ses « excuses plates et sincères » à Raquel Garrido et Alexis Corbière.
D’après nos informations, Aziz Zemouri s’est par ailleurs passé du contradictoire avec le couple et ne l’a jamais questionné sur l’ensemble des informations publiées dans Le Point. (...)
Le journaliste change de version
Sollicité par Mediapart, Aziz Zemouri maintient la véracité de ses informations et dit « avoir tout vérifié ». Il explique avoir eu l’information du contrôle de police via « une source policière qui n’a toutefois pas réalisé elle-même le contrôle ». Puis il affirme avoir « rencontré la femme de ménage » et avoir pu « consulter sur son téléphone portable les SMS en question pour s’assurer de leur authenticité et qu’il s’agissait bien du numéro de l’élue ».
Mais il ajoute aussi s’être déplacé et avoir pu constater « qu’un chauffeur récupérait la petite fille du couple dans son école à Bagnolet pour l’emmener en voiture dans le XIIe arrondissement de Paris ». Dans son article, il écrit pourtant que tous les enfants du couple sont scolarisés à Paris. En réalité, le couple a trois enfants de 9 ans, 19 ans et 22 ans, et seule la plus petite est inscrite à l’école, mais bien à Bagnolet. (...)
Mais questionné plus en détail, Aziz Zemouri change totalement de version. Interrogé sur les dates auxquelles il a vu l’employée garder leur fille, il ne sait plus quoi répondre. Il est pourtant censé l’avoir constaté de visu. « Je dirais mai ou juin », avance-t-il. Aziz Zemouri se montre aussi incapable de décrire physiquement la fille du couple. Lorsqu’on lui demande si elle a bien 3 ans, il répond : « Je dirais un peu plus. » Elle a en réalité 9 ans.
Puis il reconnaît ne « jamais être allé dans l’appartement parisien où elle est gardée ». Il explique finalement n’avoir jamais communiqué avec le chauffeur et n’avoir pas véritablement rencontré la femme de ménage en question. (...)
La preuve principale du journaliste... a été trafiquée (...)
Pour prouver la véracité de ses révélations, Aziz Zemouri explique aussi s’être rendu devant l’immeuble où le couple aurait un logement, au n° 30 de la rue Montéra dans le XIIe arrondissement. (...)
Problème : le couple habitait boulevard Soult et pas rue Montéra.
Comme l’a constaté Mediapart, le cliché que nous a transmis le journaliste censé être la preuve principale est en réalité une photo de l’agence Sipa, illustrant un article de RTL de l’ancien domicile d’Alexis Corbière. Elle a été retaillée pour que l’on ne voie que la fenêtre et plus l’élu à son bureau. Par ailleurs, le couple n’habite plus dans aucun logement RIVP depuis 2017, ce qu’un responsable du bailleur a confirmé à Mediapart. (...)
Un ancien voisin du couple, qui habite encore le quartier, dément catégoriquement à Mediapart. « Je n’ai jamais vu une femme garder les enfants de Raquel Garrido et Alexis Corbière cette année », explique-t-il.
Alerté sur ce point, le journaliste ne sourcille pas. (...)
Là encore, le cliché envoyé est une simple capture d’écran d’un post Facebook. Mediapart a aussi pu le retrouver sur la page publique de la fille, dont le nom est facilement disponible sur Internet et dans des articles de presse.
Le journaliste assure ensuite que la femme de ménage était chargée de garder la fille de 9 ans mais aussi celle de 19 ans qui serait, selon son témoignage, « livrée à elle-même ». Il dit avoir un sonore envoyé par la femme de ménage qui prouverait « qu’elle gardait bien les deux filles du couple » et dans lequel « on entend la petite parler ». Dans le contenu que s’est procuré Mediapart, rien ne prouve cela. (...)
Des documents du couple mettent à mal les infos du « Point »
Interrogée, Raquel Garrido maintient son démenti et annonce déposer plainte en diffamation. Son avocat Me Xavier Sauvignet indique également travailler à la rédaction de plaintes contre X pour « usurpation d’identité » et « faux et usage de faux », à la suite de la diffusion des SMS attribués à la députée et diffusés par Aziz Zemouri sur Twitter.
Mediapart a aussi pu vérifier qu’entre mai et juin, aux dates mentionnées par le journaliste, la fille du couple était récupérée à l’école non par une employée, mais par ses grands-parents. Jamais il n’est évoqué une quelconque personne chargée de la récupérer ou de la garder. « Lundi dernier », le jour où le journaliste affirme avoir pu vérifier que la fille du couple était gardée par la femme de ménage, celle-ci était en réalité avec ses parents… à l’Assemblée nationale, comme le prouve une photo publiée par Le Monde. (...)
Si Le Point évoque dans son article une possible saisine du parquet, celui de Bobigny précise en tout cas à Mediapart n’avoir pas davantage d’informations que « ce qui a été publié dans Le Point ». Même chose pour le parquet de Paris. La préfecture de police de Paris, elle, n’a pas répondu à Mediapart.
Interrogé une nouvelle fois sur toutes ces contradictions, Aziz Zemouri persiste (...)
Et hop ! Je suis bloqué par Madame Ducros pour avoir osé diffusé un tweet et dans lequel elle prétendait s'être contenté de "relayer" l’article du Point. Comme on peut le vérifier ci-dessous ! Le bidonnage est décidément un métier à plein temps. https://t.co/bk7ovRSrfc
— Henri Maler (@HMaler) June 23, 2022
Comme s'il suffisait de retirer ce tweet, pour excuser sa vilénie. pic.twitter.com/Y39vWsuWfL
— Henri Maler (@HMaler) June 23, 2022