
Le 1er juin 2016, sous le titre « Dans les magazines féminins, la loi (El Khomri) du silence », nous avions examiné l’attention portée par quelques magazines féminins aux conséquences pour les femmes de cette première « loi travail ». À l’occasion de la séquence qui a commencé avec la présentation des ordonnances à la presse le 31 août [1], nous renouvelons l’exercice pour la période courant du 1er septembre au 20 octobre 2017 auprès des magazines Cosmopolitan, Elle, Grazia, Madame Figaro et Marie Claire. Ont-ils tiré la leçon du fiasco de l’année dernière ? Pas vraiment…
Très rapidement comme en 2016, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une aggravation des inégalités femmes-hommes au travail, déjà particulièrement marquées, dont ce projet serait porteur.
Ainsi, Mediapart a publié le 6 septembre un appel d’une soixantaine de féministes exprimant leurs très grandes inquiétudes : « Les ordonnances ne sont pas neutres. Elles vont accroître les inégalités professionnelles. Emmanuel Macron, Marlène Schiappa, votre grande cause nationale commence mal. Changez de cap, ne bradez pas les droits des femmes aux exigences du MEDEF, retirez ces ordonnances » [2].
Sophie Binet, chargée de l’égalité femmes-hommes à la CGT reprend des arguments similaires dans Le Monde du 20 septembre au cours d’un entretien au titre sans équivoque : « Loi travail : “Un nombre important de mesures menace les femmes” ».
Dans un registre certes beaucoup plus technique et donc moins accessible, l’avis rendu le 8 septembre par le conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes se montre très réservé sur plusieurs aspects de la loi. (...)
Ces multiples alertes ne conduisent pourtant pas les « féminins » à se montrer particulièrement prolixes sur un sujet qui devait pourtant a priori pouvoir intéresser un lectorat très largement… féminin ! L’énumération des articles consacrés à ce sujet suffit à s’en convaincre. Aucun titre d’ailleurs ne recourt à une « accroche » correspondant à l’importance qui devrait lui être accordée. (...)
Madame Figaro et Marie Claire obtiennent tout simplement un « zéro pointé ».
Le 21 août, la publication appartenant à Serge Dassault offre même un entretien d’une rare complaisance à la ministre, au cours duquel aucune question ne lui est posée sur les conséquences pour les femmes des textes dont elle était, avec ses services, la « cheville ouvrière. »
Nous apprenons en revanche que la ministre déclare qu’elle n’ « était pas [féministe] au départ. » Et d’ajouter : « Mais face aux obstacles que les femmes rencontrent dans le monde du travail, le plafond de verre et l’autocensure, j’ai décidé d’agir. Lorsqu’on atteint des postes d’influence, on a cette responsabilité d’action ». Admirable et tardive conversion dont il n’est pas certain qu’elle suffise à lever les lourdes inquiétudes sur le sort réservé aux femmes par le projet porté par Muriel Pénicaud… (...)
Une exception qui confirme la règle ?
Avec trois articles, Elle, le magazine Lagardère, semble faire figure d’exception. (...)
L’effort est indéniable et il permet d’évoquer un certain nombre d’enjeux. Mais il laisse sur sa faim en raison de l’absence de mise en perspective par le magazine lui-même du contenu des ordonnances et de leur impact sur la condition des femmes au travail : Elle préférera sous-traiter cet examen à une sorte de mouvement de balancier entre des points de vue différents voire contradictoires. Un choix éditorial regrettable qui présente l’avantage (?) d’éviter au magazine de se prononcer directement sur le fond du dossier, autrement que par de timides prises de distances… imputées aux critiques. (...)
Une fois encore, des silences consternants et des informations minimalistes ont tenu lieu d’analyses critiques. Ce n’est pas un simple accident de parcours. Ce journalisme est consubstantiel à ce que sont depuis longtemps les magazines féminins : des hymnes au consumérisme soumis à une étouffante emprise publicitaire [11] reléguant au second plan le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes dont ils prétendent pourtant encore être des « fers de lance ». (...)