Emmanuel Macron l’a dit, et cela lui a beaucoup été reproché : nous sommes en guerre contre le virus du Covid-19. Si cette guerre n’est pas encore gagnée, les vaccins finissent par arriver et les économistes prévoient un retour à la croissance dès cette année.
Mais, pour nos dirigeant·es, l’épreuve est loin d’être terminée.
(...) Politiquement, c’est maintenant que la partie se joue.
Fin du consensus
Lorsque l’activité était en chute libre à peu près partout dans le monde, tous les gouvernements étaient confrontés aux mêmes problèmes et, pour l’opinion publique, quel que soit le pays et le parti au pouvoir, il était évident que l’État devait intervenir. Tous les chefs d’État et de gouvernement ne sont pas allés jusqu’à déclarer comme Emmanuel Macron que tout serait fait « quoi qu’il en coûte » mais, dans les faits, les interventions ont partout été massives, du moins dans les pays développés. (...)
Et, à ce moment-là, il y avait une sorte d’accord tacite entre gouvernements et entre les gouvernements et leurs électeurs : dans des circonstances aussi graves, l’erreur serait de ne pas en faire assez.
Puis, progressivement, au fil des mois, la vie a repris le dessus et les clivages sont réapparus au grand jour. D’abord, on a vu que les États ne s’en sortaient pas tous de la même façon, et, à l’intérieur de chaque État, les débats politiques ont regagné en intensité. Le consensus sur les premières mesures d’urgence a volé en éclats et les économistes ont alimenté le débat.
Aux États-Unis, certains commencent à se demander si Joe Biden ne veut pas en faire un peu trop ; ici, on se demande s’il ne faudrait pas en faire plus et même s’il ne faudrait pas aller jusqu’à annuler une partie de la dette publique existante pour permettre aux États d’engager de nouvelles dépenses. Et la polémique n’est pas toujours très courtoise…
On estime que la crise a coûté leur travail à environ dix millions d’Américains. (...)
Ce vendredi 12 février encore, à la bourse de New York, les indices S&P 500 et Nasdaq Composite ont établi de nouveaux records ! En application des mesures adoptées en décembre, des chèques allant jusqu’à 600 dollars pour une personne seule ont été envoyés en janvier ; certains économistes estiment que près d’un tiers des sommes ainsi distribuées se sont retrouvées investies en bourse ! Et les derniers records s’expliquent en grande partie parce que les financiers anticipent le vote du plan Biden.
Un possible retour de l’inflation ?
Que cet enrichissement ne soit pas équitablement partagé et que des efforts doivent être faits pour aider les ménages et les entreprises qui ont le plus souffert de la crise, c’est une évidence. Mais ajouter 1.900 milliards aux 900 milliards déjà votés en décembre, cela inquiète M. Summers. Ce déversement de liquidités pourrait entraîner des tensions inflationnistes et nécessiter un durcissement de la politique monétaire, ce qui compromettrait la reprise en cours. Enfin, M. Summers fait remarquer qu’après avoir dépensé 15% du PIB dans ces plans de sauvetage (celui de décembre et celui qui est annoncé), l’État fédéral pourrait se trouver à court de munitions pour financer le plan de développement des infrastructures qui doit être déposé ultérieurement, plan dont la nécessité ne fait pas, elle, le moindre doute.
L’État s’apprêterait-il déjà à resserrer les cordons de la bourse ? (...)
Crainte de la fin du « quoi qu’il en coûte »
Dans un entretien avec Les Échos le 21 janvier, Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, a prononcé une petite phrase qui a beaucoup inquiété : « Si 2021 marquera la fin de la pandémie et de la crise comme tout le monde l’espère, il faut aussi que 2021 marque la fin du “quoi qu’il en coûte” ». L’État s’apprêterait-il déjà à resserrer les cordons de la bourse alors que des secteurs entiers sont encore en souffrance et que les incertitudes sont nombreuses ?
Pratiquement tous les économistes convergent sur un point : la bonne façon de mesurer l’endettement. Rapporter la dette publique au PIB comme on le fait généralement n’a pas grand sens. Il est vrai que la dette publique française gonfle très rapidement, elle est déjà passée de 100% du PIB à 116,4% en un an, à la fin du troisième trimestre 2020, et ce n’est pas fini.
Les traités européens, qui imposent une limite théorique de 60%, ont été mis provisoirement entre parenthèses –nécessité fait loi–, mais faut-il pour autant prendre le risque d’un dérapage incontrôlé ? En fait, disent maintenant les économistes, ce fétichisme du rapport dette sur PIB est idiot. Comme le montre très bien un document de l’OFCE, actuellement ce rapport augmente très vite en France et pourtant la charge de la dette (le paiement des intérêts) est, elle, en recul constant par rapport au PIB. Autrement dit, bien qu’on soit de plus en plus endetté, la dette est de plus en plus supportable…
Discussions sur un « nouvel espace budgétaire »
Ce miracle apparent s’explique par la baisse des taux d’intérêt, qui est allée jusqu’à des taux négatifs (...)
Mais une fois que l’on a fait ce constat, quelles conclusions en tire-t-on ? (...)
Comme la crainte d’un endettement excessif subsiste, certains proposent un remède de choc : l’annulation dans la zone euro de la partie de la dette publique détenue par la Banque centrale européenne (BCE). Cette proposition soulève de nombreux problèmes et on pouvait penser que le débat était clos. Mais il vient de ressurgir avec une tribune publiée dans Le Monde et signée par 150 économistes. L’annulation de cette partie de la dette permettrait aux États de lancer de nouveaux programmes d’investissement d’un montant équivalent pour financer la transition écologique et « réparer la casse sociale, économique et culturelle ».
Le moins que l’on puisse dire est que cette initiative a été fraîchement accueillie. (...)
Il y a de surcroît un élément déplaisant dans cette proposition qui est celle de riches se mettant d’accord entre eux pour ne pas rembourser ce qu’ils doivent, ainsi que l’économiste Philippe Crevel le souligne : « L’annulation profiterait avant tout aux États dont les banques centrales peuvent engager des processus indirects de monétisation des dettes tout en ne portant pas atteinte au crédit de leur monnaie. Seules les banques centrales des pays les plus riches peuvent monétiser indirectement la dette publique. Celles des pays émergents ou en développement n’ont pas cette faculté. »
On pourrait ajouter que cette proposition, qui émane d’économistes proches de la gauche, est loin de faire l’unanimité au sein même de la gauche, ainsi qu’en témoignent les prises de position de plusieurs membres du groupe des « économistes atterrés » qui y voient un mythe trompeur. (...)
La bataille d’idées, bonnes ou mauvaises, sur la meilleure façon de sortir de la crise constitue en tout cas un signal fort pour tous les gouvernants : cette sortie de crise ne sera pas une partie de plaisir. Une partie de l’opinion va surtout s’inquiéter de la hausse des déficits publics et de la dette, une autre des dépôts de bilan et des licenciements qui ne vont pas manquer d’être annoncés.
Entre les exigences de rigueur dans la gestion des deniers publics et la persistance d’une forte demande d’investissements de l’État en matière sanitaire, éducative, sociale et environnementale, il ne sera pas facile de déterminer un cap, de le tenir et d’obtenir l’appui de l’opinion. Et, en France, la proximité des échéances électorales de 2022 va exacerber les tensions à un moment où il serait nécessaire d’obtenir un consensus sur quelques grandes orientations. Dans ce contexte, la politique économique risque de se retrouver au cœur de querelles très politiciennes.