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Slate.fr
Les guerres américaines ne s’arrêtent jamais : elles se privatisent
Article mis en ligne le 3 février 2020
dernière modification le 2 février 2020

Le président Donald Trump évoque fréquemment sa volonté de rapatrier les troupes américaines de pays comme la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan, et de mettre un terme aux « guerres sans fin » dont il a hérité. Mercredi 22 janvier encore, il fanfaronnait : « Nous avons quitté la Syrie. » Ce n’est même pas vrai officiellement, mais le nombre de soldats qui restent n’est qu’une partie de l’histoire. Certaines forces sur le terrain ne sont pas comptabilisées du tout.

Dans un stupéfiant reportage daté du 22 janvier, le New York Times révèle les détails d’une attaque perpétrée le 3 janvier par le groupe de djihadistes somaliens al-Chabab contre une base au Kenya voisin, et qui a tué trois Américains. L’incident a tant inquiété le Pentagone que ce dernier a hâtivement envoyé 100 soldats rétablir la sécurité à la base kenyane de Manda Bay. En revanche, il n’a quasiment eu aucun écho aux États-Unis, peut-être parce qu’il s’est produit après le meurtre d’un autre sous-traitant, en Irak, événement déclencheur du cycle de représailles qui a poussé les États-Unis et l’Iran au bord de la guerre. Deux des trois Américains tués étaient des contractuels civils.
La guerre devient moins visible

Les États-Unis s’appuient de plus en plus sur des prestataires privés pour un grand nombre d’opérations militaires à l’étranger, ce qui dissimule la véritable ampleur de la portée militaire américaine, et provoque de nombreux nouveaux dangers. Si Trump rapatrie davantage de troupes –le Pentagone serait en train d’envisager un retrait majeur d’Afrique, alors même que les conflits avec des groupes djihadistes en Somalie et en Afrique de l’Ouest s’intensifient– ces sous-traitants pourraient voir leur rôle gagner encore en importance.

Il est fort possible que cette situation arrange tout à fait le président Trump. La dépendance de son administration envers les sous-traitants dépasse de loin le domaine militaire. Erik Prince, fondateur de l’entreprise de mercenariat Blackwater (aujourd’hui rebaptisée Academi) et frère de la ministre américaine de l’Éducation Betsy DeVos, joue un rôle aussi influent qu’officieux au sein de l’administration, et prône publiquement le remplacement des soldats américains en Syrie et en Afghanistan par des prestataires privés.

Trump, qui a récemment claironné, à tort, que l’Arabie saoudite payait un milliard de dollars le déploiement de troupes américaines, n’a pas l’air de toujours bien comprendre la différence entre des soldats et des mercenaires. Le recours à des combattants privés colle généralement assez bien avec son approche transactionnelle de la politique étrangère. (...)

Cette dérive vers la privatisation a commencé avant que Trump n’accède au pouvoir. (...)

Lorsqu’il était sénateur, Barack Obama avait soutenu un projet de loi visant à réfréner le recours à ces entreprises de sécurité et à les obliger à assumer la responsabilité de leurs actes criminels. Pourtant, une fois président, il s’est énormément appuyé sur elles, même lorsqu’il œuvrait au retrait des troupes. (...)

« Les sous-traitants sont comme du crack pour les présidents, parce qu’ils leur permettent d’augmenter la force de frappe de l’Amérique, sans la surveillance du Congrès. C’est un moyen de contourner l’obligation démocratique de rendre des comptes sur l’usage de la force militaire », explique Sean McFate, ancien officier de l’armée qui a travaillé en tant que prestataire militaire privé en Afrique, et enseigne aujourd’hui à l’École de relations internationales de Georgetown, à Washington.

L’intensification de la privatisation rend la guerre moins visible, et donc bien plus commode (...)

Opérant en toute discrétion, les prestataires de services militaires ont été impliqués dans une flopée de violations du droit du travail, allant jusqu’à la traite d’êtres humains. Les personnes engagées dans les combats n’ont pas le même accès aux soins médicaux et à la logistique que les soldats –après la récente attaque de missiles iranienne, si les militaires ont été évacués en Allemagne pour y être soignés pour des commotions cérébrales, les mercenaires blessés ont généralement reçu des soins médicaux dans le pays où ils s’étaient battus.

Et comme le montre l’incident Blackwater, les sous-traitants ne sont souvent pas tenus de rendre les mêmes comptes que les militaires pour leurs violences et leurs crimes de guerre. Globalement, les prestataires privés sont là pour être invisibles (...)

Marché mondial de la guerre

Les États-Unis ne sont pas le seul pays à s’appuyer de plus en plus sur des mercenaires pour faire la guerre. La Russie a déjà eu recours à des entreprises privées pour se livrer à des opérations militaires semi-officielles qu’elle pouvait ainsi nier en restant crédible en Ukraine, en Syrie et dans des contrées bien plus lointaines. (...)

Les États-Unis ont tué plus de Russes qu’à n’importe quel moment de la Guerre froide, mais les deux camps ont rapidement glissé le problème sous le tapis. Les choses auraient pu tourner tout autrement si les Américains avaient tué des soldats russes en uniforme. (...)

S’il est légitime d’éprouver du soulagement à l’idée que ce genre d’incident ne dégénère pas en conflit atomique, on peut tout de même s’inquiéter de cette privatisation progressive de la guerre (...)