
Isolés dans leur chambre, coincés entre leur écran d’ordinateur et leur plaque de cuisson, les étudiants ont décidé de se faire entendre. Reportage à Lyon, ville marquée par deux tentatives de suicides.
« Des miettes ! ». C’est la première réaction de Craig, lorsque l’on évoque les annonces du gouvernement fin janvier censées venir en aide aux étudiants. « On a des étudiants qui se tuent ! » alerte le Lyonnais qui anime le comité de lutte Lyon 2-Bron, une organisation syndicale étudiante. Les deux tentatives de suicide d’étudiants dans cette ville ont marqué celles et ceux qui marchent, ce 26 janvier, à l’appel des personnels de l’Éducation nationale.
Une aide exceptionnelle de 150 euros a bien été accordée par le gouvernement depuis le premier confinement, mais de nombreux étudiants y ont renoncé du fait des conditions d’obtention strictes – un jeune de moins de 25 ans sur quatre a renoncé à bénéficier des différents dispositifs d’aide, du fait de la complexité administrative [1]. « Une centaine d’euros, ça reste insuffisant pour payer les vivres, le loyer, etc. » Certains sont rentrés chez leurs parents. « Pour celles et ceux qui sont restés, les bourses sont insuffisantes depuis des années. Elles obligent la plupart des bénéficiaires à travailler alors même qu’avec le Covid, il y a eu beaucoup de pertes d’emplois », raconte Craig.
Avant l’épidémie, la moitié des étudiants travaillaient pour financer leurs études, et compléter leur maigre budget (681 euros en moyenne selon l’Observatoire de la vie étudiante). Or, un tiers d’entre-eux ont perdu leur travail après le premier confinement, soit une baisse mensuelle de revenus de 274 euros en moyenne [2]. Les 20 000 jobs étudiants créés par le gouvernement fin novembre, via les Crous, pour « venir en soutien aux étudiants décrocheurs », sont à temps très partiel – dix heures par semaine – et ne pallient pas les difficultés économiques. Et alors qu’un étudiant sur cinq vivait déjà en dessous du seuil de pauvreté avant l’épidémie. Malgré ces données alarmantes, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a confirmé le 15 janvier que le RSA ne serait pas étendu aux 18-25 ans. (...)
Un jeune sur six a arrêté ses études
« Il y a eu une aggravation entre les deux confinements », estime Craig. Il pointe le manque d’accueil et de soutien psychologique, sur fond de « pressions administratives émanant notamment du Crous ». Face aux loyers impayés, les étudiants concernés auraient bénéficié uniquement de relances internet... « On demande des exonérations de loyers mais on a eu pour seule réponse la répression policière. Les lignes pour les psychologues sont constamment saturées. Les rendez-vous avec les assistants d’orientation sont accordés dans plusieurs mois. » (...)
Si un peu plus de la moitié des étudiants interrogés ont quitté leur logement principal pour se rendre chez leurs parents, 47 % ont dû rester dans leurs logements, dont nombre d’étudiants étrangers et précaires [3]. Les problèmes de connexion, les différences entre boursiers et non boursiers en termes d’équipements de travail, viennent s’ajouter à la précarité financière et contribuent au décrochage scolaire. Un jeune sur six a arrêté ses études selon le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale publié en décembre 2020 sur les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse.
« Avoir un minimum de présentiel pour tenir » fait partie des attentes de Quentin, en deuxième année, qui se sent très isolé. (...)
« Je suis plutôt un bon élève mais là j’ai du mal à trouver du sens à ce que je fais. Même après le Covid, il y aura le chômage. Même diplômés, on sera en situation de précarité », confie Clément. Le chômage des jeunes de moins de 25 ans a augmenté de 20 % entre février et juillet 2020 selon Pôle emploi. Or, chaque année, 700 000 jeunes débarquent sur le marché du travail. (...)
Des pensées suicidaires chez un étudiant sur dix
Un étudiant sur dix a pensé au suicide en 2020. C’est l’une des données marquantes du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Un étudiant sur quatre déclare avoir un haut niveau d’anxiété et 16 % souffrent d’une dépression sévère. Avec le deuxième confinement, plus de la moitié sont inquiets pour leur santé mentale dans un contexte où les services de santé universitaire disent être saturés. Le rapport déplore qu’il n’y ait seulement qu’un psychologue universitaire pour 30 000 étudiants ou un médecin de santé universitaire pour 15 000 étudiants. (...)
La ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé doubler les capacités d’accompagnement psychologique des étudiants, et créer 60 postes d’assistantes sociales qui leur seront dédiés. « Les recommandations internationales optent pour 1 psychologue pour 1500 étudiant-e-s. C’est plutôt d’un investissement massif dans les services de santé universitaire dont nous aurions besoin » réagit Solidaires Étudiants. Le gouvernement a aussi annoncé la création du « chèque psy » à partir du 1er février 2021 pour permettre aux étudiants en détresse psychologique de consulter un psychologue et de suivre des soins. « Proposer un accompagnement psy sans régler les difficultés matérielles et financières des étudiant-e-s, c’est mettre un pansement sur une jambe de bois », estime le syndicat.
L’un des initiateurs du collectif Étudiants fantômes souligne que « le chèque psy censé aider les étudiants à consulter plus facilement un psychologue s’avère en fait être un parcours du combattant complètement insensé. » Pour en bénéficier, il faut se rendre chez un médecin généraliste chargé, à l’issue du rendez-vous, de déterminer le suivi adapté pour l’étudiant. « À aucun moment un médecin généraliste n’est apte à effectuer un tel diagnostic, encore moins en une séance » déplore t-il. Avant la crise sanitaire, 30 % des étudiants interrogés déclaraient avoir déjà renoncé à aller voir un médecin. (...)