
Les attaques subies par des journalistes, dont l’une des nôtres, de la part de sympathisants d’extrême droite sont intolérables. Le chef de l’État, tout à sa préoccupation d’être réélu, doit prendre la mesure du danger qui nous guette à quelques mois de la présidentielle.
Nous traversons un moment de stupeur démocratique : des journalistes sont harcelé·e·s, intimidé·e·s, menacé·e·s de viol ou de mort dans l’exercice de leurs fonctions par des sympathisants d’extrême droite. Des élu·e·s, des militants politiques, des syndicalistes, des libraires et des manifestant·e·s subissent le même sort, jusqu’à l’agression physique. Sans que l’exécutif, à un moment pourtant crucial de notre vie démocratique, semble prendre la mesure du danger, tout occupé qu’il est à soupeser quel adversaire lui permettrait de conserver le pouvoir à l’issue du second tour de l’élection présidentielle.
En ce début de campagne, alors que l’état politique d’un pays se mesure non seulement à la vitalité de ses débats, mais aussi au respect de ses règles communes, au refus de la haine et à la défense des contre-pouvoirs, l’ultra-droite dicte sa loi, en appelant en toute impunité à mettre en danger la vie d’autrui. (...)
Notre journaliste Lucie Delaporte, autrice de nombreuses enquêtes sur la fachosphère (les dernières ici ou ici), est victime depuis plusieurs mois d’attaques répétées de la part de youtubeurs d’extrême droite racistes, xénophobes, misogynes et homophobes. Incitation au viol et au meurtre : dans un vomi d’ignominies, Ugo Gil Jimenez, connu sous le nom de « Papacito » (entouré de ses amis Julien Rochedy, ancien cadre du FN, Georges Matharan, alias Jordi, ex-journaliste de Valeurs actuelles, et du youtubeur Baptiste Marchais) parade sur les réseaux sociaux en ciblant notre consœur, à l’origine de révélations sur l’entourage d’Éric Zemmour et de ses liens avec l’ultra-droite. (...)
Évoquant notre journaliste ainsi que ceux présents sur le plateau d’une émission d’« Arrêt sur image » consacrée à la fachosphère sur YouTube, dont un journaliste de Marianne, il affirme : « Je vais leur faire des authentiques fractures du museau, ça va leur faire bizarre […], des masses d’armes à 55 kilomètres/heure 200 joules dans les têtes. » Nos demandes de dépublication auprès de la plateforme étant pour l’instant restées lettre morte, ce que nous regrettons amèrement, Mediapart s’apprête à saisir la justice afin de faire cesser ces agissements.
Le vidéaste Usul, chroniqueur pour Mediapart depuis plusieurs années, subit également depuis trop longtemps les foudres de cet individu, par ailleurs visé par une enquête préliminaire pour « provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes », ouverte par le parquet de Paris après la diffusion, le 6 juin, d’une vidéo dans laquelle il simulait l’exécution d’un militant de gauche et expliquait comment se procurer légalement des armes.
À StreetPress, le processus est identique : après avoir révélé des informations exclusives sur les soutiens armés d’Éric Zemmour, le rédacteur en chef de ce journal indépendant, Mathieu Molard, a reçu des milliers de messages d’insultes et de menaces de mort, dont certains visant ses proches, sur les réseaux sociaux. (...)
À ce raid orchestré par plusieurs comptes influents de la fachosphère a succédé la diffusion, par la chaîne Telegram néonazie Les Vilains Fachos, d’un photomontage de viseurs d’armes ciblant diverses personnalités connues pour leur engagement contre l’extrême droite : ce même journaliste de StreetPress, celui du Media TV Taha Bouhafs, un syndicaliste étudiant, la députée de La France insoumise Danièle Obono et le candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon.
Leurs visages ou caricatures sont présentés aux côtés de dessins racistes censés figurer des musulmans, des juifs, des Noirs, et d’une photo d’Anne Frank, déportée par les nazis et morte au camp de Bergen-Belsen. « Un appel au meurtre explicite », comme le dénonce StreetPress. Les personnes concernées ont indiqué avoir porté plainte ou formulé un signalement auprès du procureur de la République.
À ces invitations au passage à l’acte s’ajoutent des intimidations ou censures en bonne et due forme, au mépris du droit de la presse. (...)
Cette violence n’est pas nouvelle, tant s’en faut : certains de nos journalistes en ont déjà fait les frais par le passé, ainsi que d’autres, comme l’envoyé spécial de France 24 frappé par le service d’ordre du FN en marge d’un congrès en 2011, ou les équipes du « Petit Journal » et de « C à vous » agressées dans le défilé du 1er mai en 2015 (...)
Mais cette fois-ci, elle s’inscrit dans un contexte particulièrement effarant : celui du hold-up du débat public par l’extrême droite, sans que ce phénomène rencontre de résistance. Au contraire. (...)
Déversées en flux continu, les paroles de haine, visant les étrangers, les minorités ou les pauvres, parmi d’autres, produisent des effets. Lorsque Éric Zemmour vise des journalistes avec un fusil au salon Milipol en octobre, la symbolique n’échappe à personne : il cherche à faire peur, et ouvre la voie au passage à l’acte. L’attaque implicite contre les journalistes n’est qu’un symptôme d’une brutalité globale (...)
Une machine folle se met en place, où sous l’impulsion sans cesse réactivée des chaînes d’info en continu et de certains médias dominants, les polémiques immondes, renforcées par l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux, se banalisent au détriment de débats dignes et pluriels sur des thématiques centrales dans la vie quotidienne des citoyens, que l’on pense aux questions écologiques, économiques et sociales, à la santé, au logement, à l’éducation ou aux discriminations. (...)
Les attaques de l’extrême droite ne sont, encore une fois, pas nouvelles. Mais sans doute la situation ne fait-elle qu’empirer en raison du (dys)fonctionnement des plateformes vidéo et d’une tendance mécanique d’Internet à survaloriser les positions conservatrices, ainsi que l’a établi la chercheuse américaine Jen Schradie dans son récent ouvrage The Revolution that wasn’t : how digital activism favors conservatives (...)
Des cibles sont ainsi désignées, au risque qu’un extrémiste ou un illuminé prenne l’incitation au pied de la lettre, sans que la politique de modération de ces hébergeurs de contenu soit suffisante pour l’en empêcher.
S’il nous faut certes dénoncer la responsabilité des médias et des réseaux sociaux, il faut aussi et surtout s’interroger sur la responsabilité de notre classe politique. Comme l’a formulé notre journaliste Ellen Salvi dans un récent parti pris décrivant « un débat politique en perdition », « la gauche court après la droite qui court elle-même après l’extrême droite. Dans ce confusionnisme politique, la moindre expression dissonante est caricaturée, méprisée, délégitimée ». Plutôt que de faire corps, unanimement et fermement, contre cet empuantissement de la campagne, ils sont de plus en plus nombreux à contribuer à son hystérisation.
Si à gauche l’indignation commence enfin à s’exprimer (outre le NPA et Philippe Poutou, Révolution permanente et Anasse Kazib ou La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon, directement menacé·e·s, d’autres semblent enfin cesser de courir derrière les thématiques identitaires pour dire leur écœurement, ainsi Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou Ian Brossat), ce sont les rangs de la majorité gouvernementale et de son opposition de droite « dite républicaine » qui n’en finissent pas d’inquiéter les derniers défenseurs d’un État de droit où l’agora démocratique et pluraliste conserverait sa place consubstantielle à la définition démocratique et sociale de notre République.
Certains en viennent ainsi à débattre comme si de rien n’était du « grand remplacement » (titre donné à son « manifeste » par le terroriste de Christchurch), de la peine de mort, des prénoms du calendrier chrétien, de la culpabilité de Dreyfus ou du rôle de Pétain sous l’Occupation. Calibrés sur les antiennes de l’extrême droite, les discours antisémites, xénophobes et racistes s’installent comme des évidences. (...)
Et Emmanuel Macron dans tout ça ? Eh bien, il laisse faire, en espérant tirer profit du délitement du climat actuel. Certains membres du gouvernement nourrissent tranquillement la bête, comme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse, Sarah El Haïry, qui explique que ce qui l’« effraie, encore plus que Zemmour, c’est les discours intersectionnels du moment » ou son collègue chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, qui indique que le polémiste « pose des débats intellectuels qui sont assez intéressants ».
Le chef de l’État, quant à lui, se contente, du haut de son promontoire, de distiller ici et là quelques phrases, telle une pythie éloignée des considérations matérielles de ce bas monde. (...)
Des cibles sont ainsi désignées, au risque qu’un extrémiste ou un illuminé prenne l’incitation au pied de la lettre, sans que la politique de modération de ces hébergeurs de contenu soit suffisante pour l’en empêcher.
S’il nous faut certes dénoncer la responsabilité des médias et des réseaux sociaux, il faut aussi et surtout s’interroger sur la responsabilité de notre classe politique. Comme l’a formulé notre journaliste Ellen Salvi dans un récent parti pris décrivant « un débat politique en perdition », « la gauche court après la droite qui court elle-même après l’extrême droite. Dans ce confusionnisme politique, la moindre expression dissonante est caricaturée, méprisée, délégitimée ». Plutôt que de faire corps, unanimement et fermement, contre cet empuantissement de la campagne, ils sont de plus en plus nombreux à contribuer à son hystérisation.
Si à gauche l’indignation commence enfin à s’exprimer (outre le NPA et Philippe Poutou, Révolution permanente et Anasse Kazib ou La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon, directement menacé·e·s, d’autres semblent enfin cesser de courir derrière les thématiques identitaires pour dire leur écœurement, ainsi Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou Ian Brossat), ce sont les rangs de la majorité gouvernementale et de son opposition de droite « dite républicaine » qui n’en finissent pas d’inquiéter les derniers défenseurs d’un État de droit où l’agora démocratique et pluraliste conserverait sa place consubstantielle à la définition démocratique et sociale de notre République.
Certains en viennent ainsi à débattre comme si de rien n’était du « grand remplacement » (titre donné à son « manifeste » par le terroriste de Christchurch), de la peine de mort, des prénoms du calendrier chrétien, de la culpabilité de Dreyfus ou du rôle de Pétain sous l’Occupation. Calibrés sur les antiennes de l’extrême droite, les discours antisémites, xénophobes et racistes s’installent comme des évidences. (...)
Comme déjà écrit dans ces colonnes, Emmanuel Macron réfléchit en parts de marché et voit là une façon de draguer une partie de l’électorat : « Pour convaincre l’autre, il ne dit rien et se contente d’observer le débat public se transformer gentiment, mais sûrement en dépotoir, afin que les peurs – et leur corollaire du vote utile, déjà à l’œuvre en 2017 – gagnent les esprits. Ce laisser-faire est un piège. Un piège tellement grossier qu’il faudrait, là encore, se pincer pour y croire. »
À quelques mois de l’élection présidentielle, on ne peut que constater et condamner ce laisser-faire de l’exécutif pourtant censé assurer les conditions d’un débat public serein. (...)
À cette heure, ni le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, ni la ministre de la culture, Roselyne Bachelot (voir notre boîte noire), supposée s’intéresser au sort des journalistes de ce pays de par ses fonctions, encore moins Emmanuel Macron, ne se sont exprimés. (...)
Il est plus que temps que l’Élysée arrête de jouer avec le feu au nom d’une machiavélique triangulation, puisant dans le discours de l’ennemi pour supposément mieux le neutraliser. Cette stratégie mortifère, au-delà des journalistes, pèse comme une menace sur l’ensemble de la société.