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AFP
Les journalistes sont-ils “des justiciables comme les autres” ? Non, pas dans le cadre de leurs fonctions
Pool justice de l’AFP
Article mis en ligne le 25 mai 2019

La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a affirmé jeudi 23 mai sur Europe 1 que “les journalistes sont des justiciables comme les autres”, après la convocation de la journaliste du Monde Ariane Chemin à la DGSI dans le cadre de l’affaire Benalla. C’est faux, le journaliste n’est pas un justiciable comme les autres lorsqu’il est dans l’exercice de ses fonctions : il bénéficie de certaines dérogations et protections.

En tant que personne civile et pour les infractions qu’il commet à titre personnel, un journaliste doit en effet répondre de ses actes au même titre que tous les autres citoyens. Pour des faits de droit commun, il n’y a aucune distinction, comme l’a par exemple montré l’arrestation de Gaspard Glanz, journaliste indépendant et fondateur de Taranis News, pour "outrage à personne dépositaire de l’ordre public".

Cependant, dans le cadre de son travail de journaliste, il n’est pas soumis à l’institution judiciaire de la même façon que les autres Français.

"Premièrement, il a le droit au secret de ses sources donc certaines investigations sur l’origine de ces informations, ne peuvent pas être poursuivies à son encontre", a expliqué à l’AFP le 24 mai Christophe Bigot, avocat spécialiste du droit de la presse.
Que dit la loi ?

Selon l’article 60-1 du code de procédure pénale, “toute personne, établissement ou organisme privé ou public [...] susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête” peut être en effet forcé “par tout moyen” de remettre ces informations à la justice, “sans que puisse lui être opposé, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel”.

Cependant, “ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par réquisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse”, précise l’article, soulignant ainsi que le journaliste n’est pas un justiciable comme les autres. (...)

Quand il est jugé d’intérêt public d’aller à l’encontre du secret, "le juge d’instruction pourra se faire remettre ses fadettes," pour rechercher les sources. Le terme "fadette" désigne les factures téléphoniques détaillées transmises par les opérateurs de téléphonie mobile."Si par exemple, un journaliste révèle un plan d’attaque de la Syrie deux jours avant qu’il soit déclenché, là on aurait le droit de savoir qui lui a remis," explique à l’AFP Christophe Bigot.
La liberté d’informer prime parfois sur la loi

Outre le secret des sources, le journaliste n’est pas un "justiciable comme les autres" car "parfois la liberté d’expression va avoir une valeur supérieure à un texte pénal", a expliqué à l’AFP M. Bigot.

"Dans ce cas-là, une balance des intérêts est faite par le juge qui considérera que, même si un texte de loi a été violé, le journaliste avait raison de le violer pour des impératifs de liberté de l’information", précise-t-il.

"Le secret défense est prévu par un texte purement français alors que la liberté d’expression est prévue par un texte européen, donc la liberté d’expression prime - dépendant de l’appréciation des intérêts en présence," ajoute-t-il.

La liberté d’expression est en effet garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. (...)

Une journaliste du Monde convoquée pour avoir violé l’anonymat d’un membre des forces spéciales

La journaliste Ariane Chemin a été convoquée à la DGSI pour "révélation de l’identité d’un membre des unités des forces spéciales", dans le cadre de son enquête sur l’affaire Benalla : il s’agit d’un sous-officier de l’armée de l’air, Chokri Wakrim, compagnon de l’ex-cheffe de la sécurité de Matignon, Marie-Élodie Poitout.

Après les révélations de Libération deux jours plus tôt, Ariane Chemin avait publié à son tour un article le 8 février sur les liens du couple Wakrim-Poitout avec Alexandre Benalla. (...)

Ariane Chemin pourrait ne pas être soumise à cette obligation de respecter l’anonymat de M. Wakrim, si la "nécessité d’informer" était plus forte que l’atteinte faite à son anonymat. "C’est au juge d’apprécier la balance des intérêts dans cette affaire", explique Christophe Bigot.

"Il paraît plus important de faire prévaloir la liberté d’information dans une affaire qui met en cause l’Elysée, plutôt que d’avoir respecté le secret de son ancienne appartenance aux forces spéciales en tant que comptable”, juge l’avocat spécialisé en droit de la presse.
Des précédents en France (...)

La convocation de Mme Chemin à la DGSI intervient après celle de sept autres journalistes du site Disclose, de Radio France et de l’émission "Quotidien" de TMC, ayant pour point commun d’avoir enquêté sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen. Elle a soulevé une vague de protestations de journalistes et de personnalités politiques, qui y voient une atteinte au droit d’informer. (...)

Pour Bertin Leblanc, rédacteur en chef de Reporters sans Frontières, interrogé le 24 mai à l’AFP, "on est clairement dans une accélération inédite, une stratégie d’intimidation des médias et de leurs sources. C’est sans précédent." (...)

"On constate une accélération inédite en France mais aussi aux Etats-Unis de procédures contre le secret des sources. Il y a une contestation globale du journalisme d’enquête", estime le rédacteur en chef de Reporters sans Frontières.