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Non-Fiction
Les leçons des sauvages
L’anthropologue peut-il tirer de ses terrains des enseignements pratiques pour nos sociétés contemporaines ?
Article mis en ligne le 24 mai 2015
dernière modification le 19 mai 2015

Jared Diamond, ornithologue de formation, s’est depuis longtemps imposé comme l’un des meilleurs anthropologues contemporains, notamment à travers sa réflexion sur la façon dont les contraintes écologiques peuvent conduire à l’essor ou au contraire à la fin d’une civilisation . Dans ce dernier ouvrage, il se penche sur le décalage entre les sociétés primitives et nos sociétés, pour se demander ce que nous pouvons apprendre des premières.

Ce « nous » renvoie aux sociétés « weird », western educated industrialized rich and democratic, auxquelles s’opposent des sociétés « traditionnelles », comprenons, même si la définition aurait gagné à être plus claire, des sociétés de petite taille, et sans État centralisé. Bref, d’un côté, les sociétés qu’étudie l’anthropologue, et de l’autre, les sociétés d’où il vient. Et la question posée dès le titre ; que pouvons-nous en apprendre ? Comment l’apprendre ? Y a-t-il des leçons que nous pouvons appliquer pour mieux vivre ? Cette réflexion est sans cesse nourrie de la pratique personnelle de Jared Diamond, et notamment de son terrain d’étude, la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Certaines tribus n’y ont été découvertes qu’après la seconde guerre mondiale, et ces sociétés ont vécu une transition incroyablement rapide. Comme le note l’auteur dans son introduction, certains Néo-Guinéens de son âge ont grandi dans un monde qui ne connaissait ni l’État ni l’écriture, ni la médecine ni les voyages : dans un monde, donc, radicalement différent du nôtre. Dans ce « monde jusqu’à hier » que la mondialisation a presque totalement effacé aujourd’hui.

La question que pose Jared Diamond est donc avant tout issue de ses réflexions personnelles sur ce décalage entre deux mondes, deux univers, deux sociétés. L’auteur interroge alors plusieurs domaines pour montrer comment les sociétés traditionnelles fonctionnent : le règlement des conflits, la justice, l’éducation des enfants, le traitement des personnes âgées, l’apprentissage des langues, l’attitude adoptée face aux risques et aux dangers, l’alimentation et l’état de santé. (...)

Y a-t-il, alors, leçon à apprendre ? On s’en doute, l’auteur dit oui, ces sociétés traditionnelles ont bel et bien des choses à nous enseigner. Toutes ces sociétés ont en effet un point commun, elles privilégient systématiquement le tissu social, là où les nôtres mettent en avant l’épanouissement de l’individu. Ce faisant, ces sociétés évitent bien des maux dont souffrent les nôtres : notamment la solitude, l’exclusion des délinquants et des criminels, l’abandon des personnes âgées. (...)

l’ouvrage, qui se lit très bien par ailleurs malgré sa taille, est très stimulant. Il conduit, notamment, à inverser radicalement, dans une posture qui n’est pas sans provocation, le schéma traditionnel, évolutionniste, qui sous-tend souvent l’anthropologie : « nous » serions plus développés qu’« eux », qui auraient donc forcément des choses à apprendre de nous. Ici, c’est l’inverse, et on ne peut qu’apprécier la démarche. D’autant plus que l’auteur ne tombe pas dans un éloge des sociétés traditionnelles – ce serait retomber sur un autre mythe, celui du « bon sauvage ». Jared Diamond reconnaît en effet d’emblée – et ne cesse de le rappeler par la suite – que ces sociétés ne sont pas parfaites. On vit moins longtemps, dans de moins bonnes conditions de vie. La mortalité infantile y est très élevée, on y est globalement moins libre. Toutes ces sociétés connaissent la guerre, et elle y est extrêmement meurtrière. (...)

Les sociétés traditionnelles ne sont pas, ne doivent pas être des modèles qu’il s’agirait d’imiter, mais, tout au plus, des viviers ou puiser des exemples permettant de donner des idées pour des évolutions sociales, politiques, et économiques. Comme Effondrement encore, cet ouvrage se veut très pratique, très concret. Ce ne sont pas seulement des réflexions universitaires, mais bien des exemples de changements que l’on pourrait décider d’introduire dans nos sociétés. Ce que nous apprennent les sociétés traditionnelles, au fond – et c’est un rappel nécessaire en ces temps de pessimisme ambiant et de discours déterministe –, c’est qu’une alternative est toujours possible.