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Les leçons géopolitiques de la crise ukrainienne
/ Géographies en mouvement Manouk BORZAKIAN (Lausanne), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (Université de Bordeaux).
Article mis en ligne le 25 février 2022

(...) Si les tensions entre l’Ukraine et le pouvoir russe ne datent pas d’hier, il faut revenir à la fin de la guerre froide pour comprendre la situation actuelle entre les deux pays. L’effondrement du pouvoir soviétique, le dépeçage de l’URSS, l’humiliation face au géant étasunien, autant de couleuvres que la Russie a toujours du mal à avaler. La détente des années 1990 a certes donné lieu à un rapprochement entre les deux puissances, mais avant tout sur base d’une thérapie de choc orchestrée par le FMI (et donc des États-Unis) ayant conduit à une privatisation massive (entendez liquidation) de pans entiers de l’économie russe au profit d’oligarques et de puissances étrangères[1]. Élément fondamental également : la promesse faite à Gorbatchev par les États-Unis et l’Allemagne d’un non-élargissement de l’OTAN vers les frontières de la Russie.

Le réveil de l’impérialisme russe

Cette promesse sera rompue moins d’une décennie plus tard avec l’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque à l’alliance militaire. Par la suite, l’intention des États-Unis d’installer des boucliers antimissiles en Europe de l’Est ou encore le soutien des puissances occidentales à plusieurs révolutions dans d’anciennes républiques soviétiques (révolution des roses en Géorgie en 2003 et surtout révolution orange en Ukraine l’année suivante) vont exacerber la sensibilité russe (alors dirigée par Vladimir Poutine) et surtout lui fournir un prétexte pour s’ingérer à son tour dans les affaires internes de ses voisins.

Le paroxysme de ces ingérences sera la reconnaissance de la sécession de deux régions séparatistes en Géorgie en 2008. Et bien sûr, en 2014, l’annexion de la Crimée (péninsule située au sud de l’Ukraine et point stratégique pour la Russie car lui favorisant l’accès à la mer Noire et donc au commerce maritime mondial) et le soutien (bien que non reconnu officiellement) aux séparatistes du Donbass, région frontalière entre les deux pays. La situation actuelle n’est donc que le dernier épisode d’un feuilleton de près de trente ans mettant en scène une lutte entre Russie et États-Unis pour l’élargissement de leur sphère d’influence respective. (...)

les différences idéologiques, fondamentales lors de la guerre froide, n’existent pour ainsi dire plus. Pire encore, le fait que la Russie ait rejoint avec entrain le capitalisme mondialisé et dérégulé l’entraîne dans les contradictions inhérentes à ce système, à savoir la nécessité de trouver de nouveaux débouchés et l’accès à de nouvelles ressources hors du territoire national. Or, cette expansion ne peut évidemment se faire qu’au détriment d’autres puissances empêtrées dans le même dilemme. Le géographe David Harvey résume la chose comme tel : « tous les territoires occupés par le capitalisme produiront des capitaux en excès et vont rechercher une solution spatiale. Il en résultera inévitablement des rivalités géopolitiques pour l’influence ou le contrôle d’autres territoires » (...)

En définitive, ce à quoi nous assistons n’est qu’un nouvel affrontement entre deux impérialismes avec, du côté de la Russie, les mêmes pratiques et coups tordus que ceux pratiqués par les États-Unis depuis plus d’un siècle maintenant (...)

le manichéisme omniprésent empêchant toute nuance : la nécessité de prendre parti pour un camp ou l’autre. Comme l’écrit Anne Morelli : « lors de toute guerre, celui qui se veut prudent, écoute les arguments des deux camps en présence avant de se forger un point de vue ou met en doute l’information officielle, est immédiatement considéré comme complice de l’ennemi ». Une vieille histoire…

En bref, ce à quoi nous assistons ne semble en rien inédit et constitue plutôt un cas d’école d’une énième confrontation entre puissances impériales (ou du moins se considérant comme tel). Il n’en reste pas moins que la situation est inquiétante car, en cas de guerre, ce sont bien les populations civiles qui paieront le plus lourd tribut. (...)