
Une fois n’est pas coutume, nous évoquons dans les colonnes d’Acrimed un ouvrage destiné à un public jeune. Dans Comment s’informer ?, Sophie Eustache propose, avec des termes simples mais sans simplisme, un tour d’horizon des coulisses des médias et de l’information.
Le livre fait une présentation de thématiques chères à la critique des médias : la circulation circulaire de l’information, les prétentions à l’« objectivité » et à la « liberté » de l’information, l’accaparement des médias par des industriels ou milliardaires, ou encore les conditions de travail des journalistes. Sont également évoquées des questions d’actualité : le rôle des algorithmes, les « pièges » de l’information gratuite ou la question des « fausses nouvelles ».
L’auteure puise ses références dans l’actualité, dans la sociologie critique (Patrick Champagne, Pierre Bourdieu) ou encore dans son propre travail de journaliste [1], et le propos est illustré par les dessins d’Élodie Perrotin. Nous reproduisons ci-dessous un extrait de ce livre, avec l’accord de l’auteure, qui revient sur le rôle du « fact-checking » et sur ses limites. (Acrimed)
(...) Le fact-checking moderne soulève de nombreuses questions et rencontre ce paradoxe. Ces médias qui mettent en vitrine le fact-checking sont en effet exposés à la publication d’infos non vérifiées et donc parfois fausses. Ces erreurs que commettent les médias ont plusieurs causes : courses à l’audience (les journaux veulent être les premiers à sortir l’info mais l’urgence n’est pas toujours compatible avec la rigueur et la vérification), concurrence mimétique (si le voisin a traité une info, il faut le faire aussi), réduction des effectifs, prédominance des sources officielles (un communiqué officiel, par exemple de la Préfecture ou du Gouvernement sont souvent repris comme étant fiables).(...)
C’est bien là les limites du fact-checking contemporain. Si les grands médias fact-check (vérifient), c’est avant tout les propos des autres, et non leurs propres colonnes.
Enquête de vérité
Dans cette « guerre » menée au nom de la vérité, contre les mensonges politiques, les rumeurs et les fake news, c’est sûrement Le Monde qui est allé le plus loin, en lançant en janvier 2017 le Décodex. Cet outil se base sur un algorithme et des données remplies par les journalistes du Monde, et prend la forme d’un plug-in (un logiciel) qui s’installe directement sur le navigateur Internet. Pour accompagner le lancement du Décodex, un petit article de présentation est publié sur la rubrique des Décodeurs, où est pris soin de définir les critères qui caractérisent une information : intérêt pour le public, factuelle, vérifiée.
Ces critères interrogent. Comment par exemple définir « l’intérêt pour le public » et de quel public parle-t-on ? Comment définir un fait, comment le séparer d’une analyse ou d’une opinion ? Jusqu’à quel point les journalistes peuvent-ils s’assurer de la « véracité d’un fait », de sa « vérité », quand depuis des milliers d’années, les philosophes se grattent la tête pour définir la « vérité » ? C’est parce qu’il semble ignorer ces questions, et parce qu’il affirme tendre vers l’objectivité et la neutralité, que Le Décodex suscite une vive polémique.
Pour y répondre, le chef des Décodeurs et journaliste du Monde à l’origine du Décodex, Samuel Laurent publie un article en mars 2017 intitulé « À l’heure de la "post vérité" se battre pour des faits » pour expliquer la démarche et la motivation du Décodex. (...)
Si établir des « faits » est relativement aisé quand il s’agit de sciences (la gravité est un fait scientifique, par exemple), l’affaire apparaît tout de suite plus corsée quand il s’agit de parler d’économie ou de projet politique.
Quelle efficacité ?
Face à la crise de confiance que traversent les médias et face à la circulation des fake news, les médias se servent du fact-checking comme d’une vitrine. C’est un outil marketing, une marque de fabrique, pour redonner de la crédibilité et de la légitimité aux médias. Le fact-checking est parfois pratique, mais il a ses limites. Et surtout, cela ne change rien aux contraintes structurelles qui entraînent de temps à autre la diffusion de fausses informations ou d’erreurs par ces mêmes médias. Les fact-checkeurs pourraient s’apparenter à des marins sur un bateau qui prend l’eau et qui, au lieu de réparer les fuites, s’acharnent à vider l’eau avec des seaux. Une vaine entreprise en somme. (...)