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le monde diplomatique
Les médias britanniques tentent de détruire Jeremy Corbyn Antisémitisme, l’arme fatale
Article mis en ligne le 12 juillet 2019

« Incompétent », « espion russe », « dangereux radical », « illuminé »… Le chef du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn aura tour à tour été tout cela, à en croire ses adversaires. Bien qu’aussi infondée que les autres, une accusation semble être parvenue à s’imposer dans les médias dominants : celle d’antisémitisme. Un procédé qui vise à disqualifier d’emblée tout opposant.

La controverse autour de l’antisémitisme qui infesterait le monde politique britannique dépasse désormais les frontières du Royaume-Uni. Le paragraphe d’ouverture d’un article récent du New York Times mêlait ainsi l’« antisémitisme profond » du Parti travailliste à la profanation d’un cimetière juif en France pour suggérer que la haine des Juifs « constitue le point de ralliement de familles politiques en général considérées comme éloignées : l’extrême droite, certaines franges de l’extrême gauche, l’islamisme radical européen et diverses fractions des deux grands partis américains (1) ».

La production éditoriale du grand quotidien américain illustre surtout la façon dont les médias traitent de l’antisémitisme supposé des forces de gauche, et en particulier du Parti travailliste de M. Jeremy Corbyn. (...)

Des pratiques de ce genre sont devenues routinières dans les grands médias britanniques — y compris les plus réputés, comme le Guardian ou la British Broadcasting Corporation (BBC), qui semblent avoir renoncé à la vérification des informations qu’ils publient dès lors qu’il s’agit de condamner M. Corbyn. Répété à l’envi, leur acte d’accusation — où le faux le dispute à l’outrance — s’est imposé comme une évidence qu’une partie de la population n’interroge même plus.

On voit désormais les mêmes méthodes à l’œuvre ailleurs dans le monde pour discréditer des dirigeants de gauche qui, comme M. Corbyn, sont connus pour leur soutien à la cause palestinienne. (...)

C’est au printemps 2016 qu’a été posée la première pierre de cet édifice minutieusement construit, à un moment où la position de M. Corbyn demeurait d’autant plus fragile que la nébuleuse de médias alternatifs — qui s’est depuis développée pour le soutenir face aux députés blairistes de son parti — balbutiait (5). À l’époque, la campagne visait à rendre le nouveau dirigeant du Labour responsable de dérives hors de son contrôle (notamment les propos antisémites de la députée Naz Shah, pourtant tenus avant qu’il ne prenne la tête du Labour et que Mme Shah soit élue au Parlement), ou qui n’avaient tout simplement jamais eu lieu — telle la contamination supposée d’un cercle du parti à l’université d’Oxford par l’hostilité aux Juifs, qui s’est révélée fantasmatique.

Le traitement du sujet par les médias se caractérisait déjà par le refus de replacer les incidents évoqués — réels ou non — dans leur contexte. (...)

M. Corbyn a d’abord tenté d’éteindre la controverse en commandant un rapport à la spécialiste des droits civiques Shami Chakrabarti, en juin 2016. Modèle d’enquête, raisonné et minutieux, le document établit que le parti n’est « pas en proie à l’antisémitisme, à l’islamophobie ou à toute autre forme de racisme ». Il note cependant des « signes évidents (datant de quelques années) de comportements minoritaires caractérisés par la haine et l’ignorance ». « J’ai entendu de trop nombreuses personnes juives se dire préoccupées parce que l’antisémitisme n’a pas été suffisamment pris au sérieux par le Parti travailliste et par la gauche en général (6) », écrit Mme Chakrabarti, avant de proposer diverses mesures concrètes destinées à y remédier.

Si, dans un premier temps, personne n’a cherché à réfuter ce constat, quelques mois plus tard, les critiques du Labour passaient à nouveau à l’offensive : le rapport se résumait à une opération de ripolinage que chacun jugeait peu crédible, bien que personne ne prenne la peine de dire pourquoi. Quelques semaines plus tard, une commission parlementaire comprenant plusieurs membres hostiles à M. Corbyn ne parvenait à établir « aucune preuve fiable et empirique attestant l’idée d’une prévalence plus prononcée des comportements antisémites au sein du Parti travailliste que dans les autres formations politiques » — tout en insistant sur les faux pas prêtés au Labour (7).

Jusqu’en 2018, les procureurs médiatiques de M. Corbyn estimaient que leurs réquisitoires (adossés ou non à des faits) devaient au moins se référer à la manifestation d’une hostilité à l’égard de la population juive. À partir de 2018, ils s’émancipent de cette contrainte. E (...)

il semble désormais possible pour les dirigeants politiques et les journalistes de taxer M. Corbyn d’antisémitisme sans avoir à avancer la moindre preuve. (...)

L’historien Geoffrey Alderman a récemment déconstruit de tels excès. Défenseur zélé d’Israël, en désaccord profond avec les positions propalestiniennes de M. Corbyn, Alderman balaie cependant l’idée selon laquelle le dirigeant travailliste entretiendrait la moindre hostilité à l’égard des Juifs (...)

Dans quelle mesure le Labour a-t-il souffert de ces attaques ? M. Corbyn a survécu, et, si l’on en croit les sondages, il ne semble pas en avoir pâti. Mais une énergie précieuse a été consacrée à repousser les assauts de ses adversaires. Sans parler de l’effet de sidération produit sur une partie des militants, qui hésitent désormais à formuler la moindre critique à l’égard d’Israël.

La mise en accusation du Parti travailliste coïncide paradoxalement avec une réelle résurgence de l’antisémitisme. Non pas au sein des formations politiques de gauche, mais à droite. (...)

Les livres d’histoire devraient réserver des pages sévères à ceux qui sonnent l’alarme contre le fantôme de l’antisémitisme de gauche, alors qu’un monstre beaucoup plus réel apparaît à l’horizon.