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les mots sont importants
Les médias contre la rue : 25 ans de démobilisation sociale
Un livre pour fêter l’anniversaire d’Acrimed. Les médias contre la rue Henri Maler (Auteur) 25 ans de démobilisation sociale Paru le 12 novembre 2021 Essai (broché)
Article mis en ligne le 5 décembre 2021
dernière modification le 4 décembre 2021

« Casseurs » et « prise d’otage » versus commentateurs experts et appels à la raison éditocratique : le site Les mots sont importants publie régulièrement des articles sur la machine bien rodée qui permet aux médias, quand ils ne peuvent plus les ignorer, de traiter les mouvements sociaux en les disqualifiant. Dans cet article, l’association Acrimed offre un panaroma complet des mots et figures de style récurrents, des méthodes et des dispositifs éprouvés qui font fonctionner cette démobilisation sociale. Particulièrement utile, il figure dans un recueil qui revient sur les principaux mouvements sociaux dont Acrimed, depuis sa fondation, a observé le traitement médiatique. Nous en recommandons vivement la lecture en souhaitant à Acrimed, pionnière de la critique des médias, un très bon anniversaire et une encore longue vie.

« La réforme »

C’est d’abord le lexique journalistique auquel on sera confronté, un lexique hérissé de fausses évidences, de mots en trompe- l’œil, de métaphores sournoises, composant une petite musique dépréciative qui fait passer, en contrebande (mais plus ou moins discrètement), un message. Comme nous l’écrivions dans notre presque célèbre « Lexique pour temps de grève et de manifestation » (page 34), la langue automatique du journalisme officiel est une langue de bois officielle.

L’exemple emblématique en est sans doute « la réforme », qu’on serait tenté d’écrire en un seul mot, tant le singulier et l’article défini sont de rigueur pour désigner tout projet d’inspiration néolibérale, et particulièrement ceux qui dégradent la protection sociale de tout ou partie de la population (...)

Autre cliché médiatique qui pourrait passer inaperçu tant il est répandu : la « grogne », aimable métaphore animale qui renvoie ainsi une mobilisation quelconque à un bruit inarticulé, expression d’une humeur chagrine et d’un refus qui confine au mouvement réflexe. Ce terme, qui vaut à lui seul un petit éditorial, n’en est pas moins employé en toute occasion. Il suffit pourtant, pour mesurer sa charge symbolique, de se demander si l’on parlerait aussi aisément, par exemple, de « la grogne du président de la République ».

Discours de « la méthode »

« Méthode » : le terme, absent de notre Lexique, aurait mérité d’y figurer. Non que le mot soit en lui-même problématique ou chargé de connotations négatives, mais, dans le contexte des luttes sociales, il sert surtout à esquiver les enjeux de fond. La « méthode », celle qui est ou devrait être utilisée pour faire réussir « laréforme », c’est en effet le sujet dont on peut et doit parler – par opposition au contenu précis de telle ou telle réforme, de ses tenants et de ses aboutissants. (...)

Du reste, cette méthode se résume généralement en un mot : la « pédagogie », puisque « laréforme » est bonne par principe, et que ses opposants ne peuvent la rejeter que par ignorance ou incompréhension. La focalisation sur la « méthode » illustre ainsi ce pouvoir de cadrage, qui n’est pas le moindre de ceux dont disposent les médias dominants, délimitant les problèmes légitimes, ceux dont on peut parler, la façon dont on peut en discuter et l’angle sous lequel les aborder. (...)

Du reste, cette méthode se résume généralement en un mot : la « pédagogie », puisque « laréforme » est bonne par principe, et que ses opposants ne peuvent la rejeter que par ignorance ou incompréhension. La focalisation sur la « méthode » illustre ainsi ce pouvoir de cadrage, qui n’est pas le moindre de ceux dont disposent les médias dominants, délimitant les problèmes légitimes, ceux dont on peut parler, la façon dont on peut en discuter et l’angle sous lequel les aborder. (...)

Donner la parole ?

Pour ceux qui contestent « laréforme », et plus généralement un ordre social dont les médias dominants sont l’un des piliers et dont les tenanciers occupent les meilleures places, l’espace médiatique s’apparente donc à une arène peuplée d’adversaires et fourmillant de pièges. Prendre la parole pour tenir un discours différent de celui qui, à quelques nuances près, y est déversé tous les jours est, pour celles et ceux qui ne sont pas préalablement accrédités, une véritable gageure. D’ailleurs, on n’y prend pas la parole : ce sont les chefferies de ces médias qui vous la donnent, ou plutôt vous la concèdent, avec modération et parcimonie. (...)

N’en possédant pas les codes, les règles, les manières, ces intrus sont sommés de répondre à des questions qu’ils ne se posent pas dans un temps qui ne le leur permet pas, confrontés à des « experts » au verbe facile et à un environnement structurellement hostile aux mobilisations et aux revendications qu’ils viennent défendre. (...)

Pour tenter de compenser ce désavantage, il faudrait tordre le bâton dans l’autre sens : faire preuve de plus de bienveillance, d’écoute, de patience, et laisser plus de temps. Traité à égalité avec un habitué des micros, un homme – et plus encore une femme – « du commun » serait encore discriminé. Mais il n’est même pas question d’égalité : dans la « vraie vie », les « vrais gens », surtout s’ils s’opposent à la vulgate médiatique, seront impitoyablement soumis à la question, interrompus, maltraités. Tolérés uniquement dans la mesure où leur présence permet de conserver les apparences du « débat démocratique » dont les médias se veulent l’espace privilégié, ils y sont en réalité réduits au silence tant leur parole est encadrée, tronquée, distordue et finalement marginalisée et disqualifiée. (...)

Formats, formatage et déformation

Car l’espace médiatique dominant n’est pas en accès libre. Pour y exister, il faut se couler sinon dans un moule, du moins dans une forme : un « format ». Le hasard faisant bien les choses, un certain nombre de ces formats médiatiques sont parfaite- ment ajustés à l’entreprise de défiguration, sinon de sabotage, des mobilisations sociales.

Micros-trottoirs

Premier de ces formats déformants : le micro-trottoir, et en particulier celui qui passe en revue les motifs de mécontentement des usagers un jour de grève. (...)

Du reste, même si un micro-trottoir n’était pas uniquement constitué de ce genre de réactions, il n’en serait pas moins contestable en tant que tel : pour sa valeur informative nulle et sa partialité cachée et impossible à évaluer. Quant aux réactions des usagers mécontents de l’état des transports publics en dehors des périodes d’agitation sociale, elles ne semblent pas retenir beaucoup l’attention des rédactions.

Micro-sujets

Ces micros-trottoirs prennent généralement place dans des « sujets » dont il faut souligner par ailleurs la brièveté, et par conséquent l’indigence. (...)

Portraits

Autre format dont les grands médias sont friands et qui montre là encore leur fâcheuse propension à faire diversion : le portrait. Non que ce genre, qui n’est pas propre à l’univers journalistique, soit vicié par nature : c’est bien son utilisation, notamment dans le contexte d’une mobilisation sociale de quelque ampleur, qui est problématique. Indépendamment même du « point de vue » adopté – on ne s’étonnera guère de voir fleurir les portraits à charge de dirigeants syndicaux ou de responsables politiques non alignés, en passe de devenir un sous-genre médiatique à part entière –, c’est la logique même de ces portraits, produits par des médias toujours en quête de « personnalités », de bons clients, de « porte-parole », à condition de pouvoir les sélectionner eux-mêmes, qui est ici en cause.

Faisant la promotion d’individus, s’intéressant à leur trajectoire dans ce qu’elle a de plus singulier, et, spécifiquement, d’anecdotique ou de folklorique, l’art du portrait ainsi manié est une arme de dépolitisation massive, doublé d’une machine à dissoudre le collectif.

Débats

Au nombre de ces formats prisés par les chefferies éditoriales par temps de crise sociale, on ne saurait oublier les « débats » audiovisuels. À ce sujet, la typologie minimale, précédemment citée, de Pierre Bourdieu distinguant les débats « vraiment faux » des débats « faussement vrais » dit presque tout. D’autant qu’on chercherait en vain, notamment sur les chaînes d’information en continu, un débat d’un « troisième type » ! (...)