
Les magazines télévisés de 1995 à 2002
Par les invités qu’ils ont conviés et les reportages qu’ils ont diffusés, ces magazines ont largement participé à la construction d’images publiques de l’« insécurité » et à la diffusion de points de vue particuliers.
Que sont les magazines télévisés consacrés à « l’insécurité » ?
Nous avons recherché dans les archives de l’Institut national audiovisuel (INA) les magazines diffusés sur les télévisions hertziennes (TF1, France 2, France 3, la Cinquième, ARTE, M6 et Canal +) et consacrés pour tout ou partie aux sujets « délinquance », « insécurité » et « violences urbaines ». Entre le 1er janvier 1995 et le 17 juin 2002 [2], 53 émissions répondaient à ces critères [3]. France 2 arrive en tête quant au nombre d’émissions consacrées à « l’insécurité » (15), juste devant France 5/la Cinquième (14). Mais cette dernière a diffusé la moitié de ses émissions (7) durant l’après-midi, à une heure de moindre écoute. Inversement, la totalité des émissions diffusées en soirée (après 22h) l’ont été sur les trois grandes chaînes généralistes : TF1, France 2 et France 3.
La fréquence des magazines consacrés à « l’insécurité » suit assez fidèlement les priorités de l’agenda politique […]
Si l’on opère quelques regroupements, on s’aperçoit que 33 % des invités sont des professionnels de la politique (élus, membres du gouvernement), 27 % appartiennent aux institutions coercitives (police, gendarmerie et justice) et 16% interviennent comme « experts » (universitaires et consultants). C’est-à-dire qu’ils représentent plus de 75 % des invités, contre 7 % pour les institutions sociales, culturelles ou médicales, 2 % pour l’école ou 2 % pour ceux qui ont eu affaire à la police et à la justice.
Cette très inégale répartition enregistre le crédit qu’accordent les journalistes à ces différents agents sociaux pour agir contre « l’insécurité ».
(...)
Il va de soi que l’origine et la trajectoire des principaux journalistes politiques français les prédispose assez peu à connaître directement la situation des milieux et des quartiers populaires. Leurs interprétations vont de la sorte s’intégrer dans leurs grandes catégories d’analyse du monde comme la « crise du modèle français d’intégration », ou la « nécessaire réforme de l’État ». Au-delà des différences observables d’une émission à l’autre, les interventions de ces journalistes vedettes de télévision font ressortir des mêmes types d’impensés, dont on peut construire la structure logique comme un idéal type.
D’abord, tous concordent sur l’inexorable montée de la délinquance et de la violence, dont il faudrait rechercher des responsables. De manière étonnante, les auteurs de délits ne sont presque jamais mentionnés par les journalistes, pas plus qu’une quelconque cause sociale. Les coupables sont sans hésiter les services de l’État. (...)
Contre cet « immobilisme », ces « lourdeurs », les journalistes invitent à réagir. C’est le troisième axe. Ils vont alors énumérer toutes les solutions qui sont dans « l’air du temps », sans bien sûr les évaluer ou s’interroger sur leurs possibilités et leurs effets. Couvre-feux, centres renforcés, sanction des parents, ou réforme de l’ordonnance de 1945 sont ainsi proposés aux invités, qui doivent se prononcer. Dans un contexte marqué par le discrédit des politiques éducatives ou de prévention, aucune solution allant dans ce sens ne vint à l’esprit de ces journalistes.
On ne mesure sans doute pas complètement la force que ces préjugés, ces idées reçues exercent sur les hommes politiques. (...)