
Les classes supérieures savent protéger leurs intérêts. La vigilance avec laquelle les familles veillent aux réussites scolaires garantit la reproduction sociale. Des liens sont maintenus et entretenus afin d’assurer une circulation fluide entre les différentes sphères de pouvoir, à commencer par le monde des affaires et celui de la politique.
Les quartiers résidentiels ou espaces de villégiature semblent jalousement gardés, parfois purement et simplement appropriés, pour maintenir à distance les populations socialement ou culturellement « différentes ». Mais la reproduction n’est pas une mécanique immuable. Elle exige un incessant travail d’innovation collective qui, bien souvent, modifie les cadres dans lesquels elle s’opère. Les classes dominantes savent en effet emprunter des chemins moins fléchés, s’aventurant parfois dans des espaces, sociaux et culturels, qu’elles avaient jusque-là ignorés ou délaissés. On voit alors se recomposer les frontières : certaines sont effacées, d’autres consolidées. (...)
C’est à une transformation contemporaine de ces frontières que je me suis intéressée lors d’une enquête menée à Boston, aux États-Unis, auprès d’une fraction particulière de la bourgeoisie. Retraçant l’émergence progressive d’un pouvoir de notables dans un quartier anciennement populaire, j’ai mis en lumière la manière dont, confrontées à l’ébranlement des années 1960, les élites avaient été conduites à redéfinir leurs rapports aux autres groupes sociaux. Est ainsi apparue sur la scène urbaine une bourgeoisie pour qui la proximité de pauvres n’est pas un stigmate, qui condamne ouvertement le racisme, et fréquente des gays, en d’autres termes une bourgeoisie qui goûte la « diversité ». (...)