
Soumis à des procédures absurdes, envoyés devant les tribunaux et parfois dans des prisons pour adultes, les mineurs isolés étrangers font les frais d’une violence d’État aveugle à leur sort. Exemples dans l’Hérault.
De Montpellier à Sète, sur la route départementale qui longe la Méditerranée, la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maglone s’impose au paysage comme une forteresse imprenable. Au sein de cette citadelle de 590 places s’entassent aujourd’hui 900 détenus. Outre les violences et les suicides de prisonniers et de surveillants, cette prison surpeuplée de l’Hérault incarne également, depuis deux ans, une forme inédite de répression envers les mineurs isolés étrangers. Depuis 2016, un peu plus d’une trentaine d’entre eux y ont été incarcérés en tant que majeurs. Des incarcérations dénoncées par plusieurs associations du département. Et pourtant depuis deux ans, le nombre d’enfermements de mineurs continue d’augmenter. (...)
Dynamique de sévérité
La reconnaissance de minorité est donc l’enjeu principal pour ces jeunes mineurs, et leurs récits d’incarcération ont tous à voir avec l’invalidation de ce statut – légalement synonyme de protection – par la justice et l’administration du département. Nelson*, Oumar*, Ibrahim* et Lassana* ont entre quinze et seize ans et ont été enfermés comme majeurs à la prison de Villeneuve-lès-Maglone au cours de l’année dernière. Ils ont tous été condamnés par la justice pour faux et usage de faux. Accompagnés pour la plupart depuis la rentrée par RESF 34, ils ont accepté de témoigner de leur calvaire. (...)
Un matin, vers 6 heures, la police débarque dans les hôtels où nos témoins sont logés avec d’autres mineurs. Si Lassana parvient à lui échapper plusieurs jours d’affilée en se levant plus tôt, Nelson est quant à lui menotté et emmené, à l’aube, au commissariat de Montpellier. Les menottes ne lui seront enlevées qu’une fois en prison, plusieurs jours plus tard. La garde à vue, tous s’accordent à le dire, est longue (de 24 à 48 heures en fonction des cas) et émaillée d’intimidations plus ou moins agressives. « Ils m’ont dit que mes papiers étaient faux, alors que ma famille me les avait envoyés, explique Nelson. Ils m’ont menacé et m’ont obligé à parler en frappant la table. Ils m’ont dit que si je disais la vérité, ils me libéreraient. J’ai déclaré que je disais la vérité, alors ils m’ont envoyé dans une petite cellule sans fenêtre pour plusieurs heures. » Aucun d’entre eux ne cède sur son récit, tous sont envoyés au tribunal correctionnel, le lendemain, pour une comparution immédiate.
Le traumatisme de la prison
Après une brève rencontre avec un avocat commis d’office, le tribunal devient alors le théâtre d’une condamnation orchestrée en amont. Une signature au mauvais endroit sur un extrait de naissance, la couleur d’un tampon officiel, des incohérences dans le récit d’arrivée du mineur, des vidéos et des messages prélevés sur les portables par la police… tout participe de la construction d’un récit colporté par le parquet : celui de l’étranger fraudeur. Les tests osseux apportent alors la touche d’expertise scientifique manquante. Puis la sentence du juge tombe. Quatre mois de prison ferme pour Oumar et Lassana, six mois ferme pour Nelson pour faux et usage de faux, assortis de cinq ans d’interdiction du territoire.
Arrivés à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maglone, considérés comme majeurs, ils sont placés dans la prison pour adultes. Nelson change de cellule chaque mois. Comme pour Ibrahim et Lassana, la cohabitation avec certains détenus aboutit à des violences sur lesquelles ils préfèrent se taire. (...)
: « Tu es constamment provoqué en prison, obligé à faire des choses, à faire rentrer de la drogue. On essaye de t’obliger à monter sur le toit pour aller la chercher. Je refusais, et j’essayais aussi d’éviter la promenade », explique-t-il. Ibrahim déclare quant à lui, le regard au loin : « La prison te rend fou, même si tu ne l’étais pas au départ ».
« Cette expérience constitue un traumatisme énorme », explique une intervenante en prison à Villeneuve-lès-Maglone, en contact avec beaucoup d’entre eux lors de ses visites. (...)
L’accès à la bibliothèque, ardemment souhaité pour échapper à leur quotidien, leur est refusé jusqu’à la fin de leur incarcération.
Livrés à eux-mêmes
Pour résister, les options sont limitées. (...)
Pour ceux qui voient leur peine confirmée en appel, l’enfermement se poursuit. En général, un placement en rétention pour une ou plusieurs semaines, parfois suivie d’une expulsion en cas de reconnaissance du pays d’origine, est privilégié. Mais dans la plupart des cas, les mineurs sont livrés à eux-mêmes une fois sortis de prison. « On m’a libéré un matin sans me prévenir, et j’ai marché seul de la prison jusqu’à mon lycée à Montpellier. Mon avocate n’était même pas au courant que j’étais libéré », raconte Lassana. (...)
Criminalisation des étrangers
L’intervention des avocats et des associations, confrontés à ces nouvelles pratiques, devient de plus en plus complexe. Après avoir alerté le Défenseur des droits, Jacques Toubon, ainsi que le département, la Cimade, RESF 34 et la Ligue des droits de l’homme ont également interpellé le président du département, il y a quelques mois. Mais qu’est-il possible d’attendre des politiques départementales dans un climat national aussi délétère pour les étrangers ? Notamment lorsque la plupart des directives des ministères consistent bien plus à exclure les étrangers des dispositifs de protection actuels qu’à repenser le fonctionnement défaillant de ces derniers.
Le dernier rapport 2017 sur les centres de rétention administratifs, coordonné par la Cimade, témoigne d’une généralisation des logiques d’incarcération et de placement en rétention (...)
l’adoption de la loi Asile et Immigration, le 10 septembre 2018, et le durcissement des politiques européennes envers les migrants ne font que renforcer la volonté étatique de criminaliser la figure de l’étranger, y compris mineur. L’incarcération devient dès lors le paroxysme logique de cette violence d’État. (...)