
Abeille, Plume, Piaf, Sol, Sel... Les monnaies parallèlles se multiplient en France ces dernières années. Qu’ont-elles en commun et qu’est-ce qui les différencie ? Pour y voir plus clair, voici un comparatif des trois monnaies locales ayant cours à Toulouse.
Elles entendent relocaliser l’économie, tisser du lien social, nous aider à comprendre le fonctionnement du système monétaire, à gagner en autonomie et à changer de mode de vie... Qui sont ces drôles de dames aux noms exotiques et aux ambitions surprenantes ? Il s’agit des monnaies alternatives.
En France, on les a vues se multiplier ces dernières années, autant pour faire face à la crise économique que pour des raisons politiques. « Le monopole des monnaies conventionnelles est mort », assure l’économiste Bernard Lietaer aux Echos. Et le phénomène ne se borne pas à nos frontières. (...)
Sol Violette
En 2011, une nouvelle monnaie alternative a été lancée à Toulouse. Elle fait partie de la trentaine de Monnaies locales complémentaires (MLC) en circulation en France. Selon Andrea, une des fondatrices, « la monnaie locale complémentaire vient compléter un vide laissé par les monnaies-temps comme le SEL Cocagne. Certaines personnes ne vont pas aller au SEL car ils ont la sensation de ne pas avoir de temps », analyse-t-elle. En effet, la plupart des Sel, après une phase de croissance initiale, voient stagner le nombre de membres et d’échanges. Le Sol Violette entend donc toucher d’autres publics. (...)
Actuellement, plus de 60 000 Sols sont en circulation avec pour vocation de redonner à la monnaie son utilité première : fluidifier les échanges. Ainsi, les monnaies locales complémentaires sont en général fondantes, c’est-à-dire qu’elles perdent de leur valeur au cours du temps. Ceci afin de pousser à l’échange plutôt qu’à l’accumulation. Le Sol Violette n’a pas opté pour ce principe mais cela ne l’empêche pas de circuler environ trois fois plus que des euros et donc de permettre plus d’échanges avec la même quantité de monnaie.
Autre atout, la monnaie locale permet de placer son argent auprès de banques « éthiques » plutôt qu’auprès de banques crapuleuses, permettant ainsi de développer la force de frappe des premières et de limiter la capacité de nuisance des secondes. En outre, les euros déposés dans les banques partenaires sont utilisés pour financer des projets locaux et solidaires. (...)
le mouvement Sol, à Toulouse et ailleurs, a réalisé un travail de lobbying citoyen auprès des autorités pour faciliter la reconnaissance et le développement de cette monnaie. Il a d’abord obtenu l’agrément de la Banque de France et, l’année dernière, les monnaies locales complémentaires ont obtenu un statut légal dans la loi sur l’Economie sociale et solidaire. Un rapport commandé par deux ministères encourage également le développement des monnaies locales. Les membres du Sol veulent maintenant pousser les collectivités à accepter des paiements en MLC. Certaines se sont déjà lancées notamment à Boulogne-sur-mer où les usagers peuvent payer leurs transports en Bou’sol. (...)
L’Oseille
Depuis quelques mois, les Toulousains peuvent opter pour une troisième monnaie alternative, l’Oseille, créée par les membres de la Coopérative intégrale Toulousaine. Après avoir longuement étudié le Sel Cocagne et le Sol Violette, ils ont décidé de lancer leur propre moyen d’échange.
« Ce qui me gêne d’abord, c’est que le Sol est indexé sur l’euro, ce qui veut dire que pour obtenir des Sols il faut avoir des euros et qu’on subit ses variations », fait remarquer Vincent, un des premiers utilisateurs. A l’inverse l’Oseille n’a aucun lien avec l’euro, c’est une monnaie sociale qui fonctionne sur le même principe que le Sel Cocagne. Les membres génèrent eux-mêmes leur monnaie en proposant des activités à la communauté sans avoir besoin des banques et la comptabilité est tenue grâce à un logiciel open source (dont le code est accessible à tous) dédié.
« Je vois l’Oseille comme la possibilité d’une monnaie sociale indépendante des pouvoirs politiques, ce qui n’est pas le cas du Sol », poursuit Vincent. (...)
Au sein de l’Oseille et du Sel, il n’y a pas différence entre les producteurs et consommateurs, ils ont tous les mêmes prérogatives et échangent entre eux sur un pied d’égalité. Il ne s’agit pas simplement de consommer local et éthique, « c’est un autre modèle de société », défend Vincent.
Les initiateurs de l’Oseille reconnaissent par contre que les différences avec le Sel Cocagne sont minimes mais selon eux, dans le Sel, la démocratie interne est imparfaite et le logiciel utilisé pour les échanges n’est pas un logiciel libre. « L’Oseille est une expérimentation où on essaie de comprendre ensemble le fonctionnement de la monnaie, les avantages, les limites. (...)
Qui va payer pour les hôpitaux ?
C’est sur le terrain politique que ces monnaies se distinguent. Selon Smaïn Laacher, auteur de Les SEL, une utopie anticapitaliste en pratique, cette forme d’échange est « une critique du statut et de la vocation de l’argent comme mode dominant de régulation de l’économie capitaliste ». Pour autant, les Sel revendiquent rarement un positionnement politique clair. Les utilisateurs de l’Oseille, eux par contre, ne cachent pas leur radicalité. Leur but : se passer progressivement de l’euro, de l’Etat et des banques. (...)
les défenseurs du Sol Violette sont également très critiques envers l’euro et le système bancaire, mais ils considèrent qu’il est important d’être indexé à l’euro pour ne pas se soustraire à la solidarité nationale. Les prestataires du Sol Violette versent en effet la TVA à l’Etat et paient leurs charges en euros, contrairement aux utilisateurs de l’Oseille et du Sel Cocagne qui eux ne versent rien au Fisc pour les prestations proposées, considérées comme des coups de main occasionnels.
« Mais qui va s’assurer des solidarités ? On n’aura plus d’hôpitaux tels qu’on les connaît ? L’éducation gratuite pour tous, elle va passer où ? Je pense qu’on a besoin d’un Etat pour définir collectivement des minimums communs comme l’éducation ou la santé. Et aujourd’hui, tout cela se paie encore en euros », argue Andrea. Les membres de l’Oseille font le pari inverse. De sensibilité libertaire, ils entendent mettre en place des services publics coopératifs contrôlés par les usagers et qui ne nécessiteraient plus d’intervention étatique. (...)
Ensemble ou chacun de leur côté, ces banquiers alternatifs proposent à ceux qui le veulent des voies diverses pour reprendre leur vie en main en utilisant la monnaie, outil qui a servi jusque là à nous asservir.