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Marianne
Les multinationales envisagent de poursuivre les États pour leurs pertes liées au Covid-19
Article mis en ligne le 22 août 2020

Gonflées ! Les multinationales réfléchissent à demander des comptes aux Etats pour avoir pris des mesures contre le coronavirus qui auraient nui à leur business. Un comble. En effet nombreuses sont celles qui ont été grassement soutenues ces derniers mois par les pouvoirs publics à coups de baisses, voire d’annulations de charges et d’impôts pour faire face à la pandémie ; sans parler des plans massifs de soutien à certains secteurs… Las, tout serait de la faute des États. Partout dans le monde, elles vont donc engager des poursuites judiciaires, en espérant récupérer des milliards.

"Le nombre de ces plaintes pourrait être sans précédent et imposer des charges financières considérables aux gouvernements qui croulent déjà sous le fardeau des crises sanitaires et économiques dévastatrices", alertaient plus de 600 ONG provenant de 90 pays le 23 juin. "Les mesures prises pour restreindre les activités des entreprises afin de limiter la propagation du virus, pour mobiliser les établissements hospitaliers privés, pour obliger des entreprises à produire tel ou tel bien médical d’urgence, pour permettre aux ménages de reporter ou annuler le paiements de loyers ou prêts immobiliers, pour empêcher les investisseurs étrangers de racheter des entreprises, pour garantir l’accès à l’eau potable ou aux médicaments, etc. pourraient être concernées" par ces plaintes, craignaient les ONG.
Les cabinets d’avocats pousse-au-crime

Un article du Guardian du 15 août corrobore leur propos. Le journal relate que des cabinets d’avocats britanniques tels Reed Smith, Ropes & Gray et Alston & Bird multiplient les vidéo-conférences pour inciter leurs clients investisseurs internationaux à attaquer les États qui auraient pris des mesures de restrictions leur portant un préjudice économique.

Comment vont-elles concrètement s’y prendre ? En s’appuyant sur les traités de libre-échange signés entre États qui contiennent pour l’immense majorité d’entre eux des clauses de règlement des différends avec les investisseurs internationaux, les fameux ISDS. Celles-ci permettent aux investisseurs étrangers de poursuivre devant des tribunaux d’arbitrage supranationaux des Etats qui seraient trop interventionnistes et qui iraient à l’encontre des sacrosaintes règles du marché libre. Les ISDS avaient déjà fait polémique il y a cinq ans lors des négociations autour de d’accord commercial entre l’Union Européenne et les États-Unis, finalement enterré par Donald Trump.
Les mesures d’urgence pas concernées

Un bémol cependant : "Si les États se retrouvent forcés d’intervenir en cas de calamité soudaine – comme cela a été le cas pour endiguer la progression de la pandémie – les traités concèdent qu’ils ne peuvent pas supporter la responsabilité et les dégâts économiques de leurs actions", explique Romain Dupeyré. Les mesures d’urgence prises pour lutter contre le coronavirus ne devraient donc pas donner lieu à de lourdes sanctions. "Tout cela, c’est de l’agitation !", assure le professeur de droit, avocat et arbitre international Thomas Clay, "alimentée par certains cabinets d’avocats qui y entrevoient les importants honoraires qui pourraient être générés par de telles actions". En effet, rappelle-t-il aussi, "il faut bien savoir que lorsque des mesures de protection de la santé publique ou de l’environnement sont prises par les Etats, il est très rare que ceux qui veulent les contester au motif que leurs investissements seraient menacés y parviennent". (...)

C’est en fait davantage les mesures de restrictions allant "au-delà du nécessaire" qui pourraient coûter cher aux États, estime Romain Dupeyré. Notamment celles prolongées au-delà de la seule période du confinement. Dans ce cas, "les comparaisons internationales vont être très utilisées" puisque certains secteurs de l’économie ont pu être maintenus au ralenti dans certains pays, et pas dans d’autres. (...)

Des inquiétudes pèsent notamment sur le Pérou, où le gouvernement a ordonné la fermeture de péages autoroutiers concédés à des sociétés internationales - l’acte de payer en espèces pouvant être à son sens un moyen de propager la pandémie. Mais aussi sur le Salvador et la Bolivie, qui ont permis à leur population de retarder les paiements de services publics tels que l’eau et l’électricité fournis par des sociétés étrangères. Ces pays n’ont pas les poches profondes et sont à la merci d’attaques de multinationales qui ont perdu gros avec ces mesures.

D’autant que les tribunaux d’arbitrage supranationaux pâtissent d’une réputation sulfureuse : pro-business, car créés pour contrer les justices nationales des Etats qui favoriseraient trop leurs propres intérêts et surtout très opaques. (...)

Au reste, on peut aussi avancer que ce sont les Etats qui se sont eux-mêmes mis dans un sacré pétrin : à force de déifier l’attractivité internationale, ils se plient en quatre pour attirer les capitaux étrangers. Au risque d’y laisser une part de leur souveraineté en signant des traités de libre échange où ils s’engagent à n’intervenir qu’en cas d’extrême nécessité, sous peine de payer des amendes à hauteur du préjudice causé aux multinationales. Pis, pour ceux qui sont en délicatesse avec leurs finances publiques, légiférer sur certains domaines de l’économie peut dès lors devenir trop risqué.