
Le Mouvement vert, issu des classes moyennes, voulait occuper le vote pour obtenir un gouvernement réformateur. L’affrontement cesse d’être jovial quand un vote truqué met au pouvoir pour un second mandat Ahmadinejad qui réprime violement manifestations et leaders. Plus de cent morts, des milliers de personnes arrêtées et torturées. Dans l’après coup, pourtant, le Mouvement vert demeure comme esprit revendicatif qui désire sans fin.
Une décennie après la Révolution islamique de 1979, on assiste au développement de mouvements sociaux, surtout après la mort de l’ayatollah Khomeyni en 1989. Ce qui les différencie des mouvements sociaux sous Mohammad Reza Shah est leur nature de plus en plus démocratique. Au début, ces mouvements sont « catégoriels » : le mouvement étudiant se développe sur le campus, en réaction à l’islamisme et au gauchisme de la période d’avant la révolution et revêt une dimension démocratique, notamment sous l’égide du Bureau pour le renforcement de l’unité (daftar tahkim vahdat, organisation mise sur pied après la Révolution islamique pour endiguer les gauchistes et les partisans du Shah). Cette organisation change progressivement de nature et, d’institution pro-régime se transforme en une instance qui milite pour la démocratisation du système politique en Iran. Le mouvement étudiant, de gauchiste et d’islamiste sous le Shah, s’achemine progressivement vers le pluralisme politique. Le mouvement des intellectuels réformistes, lui, propose sous l’égide d’intellectuels comme Abdolkarim Soroush et Mojtahed Shabestari le rejet de l’islam politique et le retour à la spiritualité religieuse, en réaction à l’islam théocratique, Velayate faghih, instauré par la République islamique. L’élection de Khatami à la présidence en 1997 correspond à l’essor de ces mouvements. Mais son échec politique en 2005, au terme de deux mandats — échec dont témoigne l’élection d’Ahmadinejad, réitérée frauduleusement en 2009 — a mis à rude épreuve ces mouvements dès lors réprimés. Par exemple, les intellectuels sont progressivement réduits au silence et les plus éminents d’entre eux quittent l’Iran (Soroush, Kadivar, Eshkavari, Bashiriyeh…).
Ce contexte ouvre toutefois les perspectives d’un nouveau type de mouvement social. Celui des féministes en particulier, qui naît dans les années 1990, se réorganise sous forme d’une « Campagne pour collecter un million de signatures » (en 2006) afin de revendiquer l’égalité juridique entre hommes et femmes, rejetée par le nouveau droit religieux directement inspiré de la Charia. (...)
Paradoxalement la répression de ce nouveau mouvement par le pouvoir a suscité la levée d’une nouvelle génération d’actrices féminines qui finissent par être reconnues mondialement, même si, depuis l’élargissement de la répression sous le deuxième mandat d’Ahmadinejad (2009-2013), les leaders sont mises en prison, et toute manifestation jugulée.
Le Mouvement vert est à l’origine une mobilisation pour l’élection des réformateurs Moussavi et Karroubi à la présidence de la République en 2009. Il n’entend pas mettre en cause la structure globale du pouvoir théocratique, mais vise, au sein de la constitution en place, la démocratisation et l’instauration du pluralisme politique mis en échec sous Khatami et frontalement réprimés par Ahmadinejad lors de son premier mandat [1].
Le Mouvement vert n’a jamais cessé de réclamer la dignité du citoyen et le refus de la violence. (...)
Le mouvement est progressivement mis en veille, et si des manifestations se produisent à sa date anniversaire, le régime empêche leur extension, d’autant que les activistes de base se trouvent soit en prison, soit en exil en Occident, en tout cas démunis face à l’absence d’organisation.
Le relais du Mouvement est pris par la diaspora iranienne, surtout en Occident. Des intellectuels iraniens organisent une grève de la faim devant l’édifice des Nations Unies à New York entre le 22 et 24 juillet 2009, en Allemagne à la Porte de Brandebourg les 24 et 25 juillet, tandis que des manifestations ont lieu dans une centaine de villes comme Vancouver, Toronto, Washington, Los Angeles, Chicago et Londres sous la bannière « Unifiés pour l’Iran » (United for Iran).
le Mouvement vert et l’émergence de la nouvelle citoyenneté
Un an et demi avant la Révolution du Jasmin de décembre 2010 en Tunisie, le Mouvement vert exprime deux idées majeures qui seront reprises dans les révolutions arabes [4] : d’un côté, la dignité du citoyen (karamat), de l’autre le refus sur le plan idéologique de légitimer la violence. Le Mouvement vert tente d’ouvrir une voie vers le pluralisme politique qui ne soit pas marquée par la violence qu’engendrerait nécessairement une nouvelle révolution face à une théocratie islamique qui bénéficie du soutien de sa clientèle, en grande partie acquise par la rente pétrolière. (...)